« Ari
Doun » c’est bien...
« Mna Doun »
serait mieux
Varoujan
SIRAPIAN
Président de
l’Institut Tchobanian
22 octobre 2010
Depuis sa prise
de fonction, la dynamique Ministre de la Diaspora de la République d’Arménie,
Heranouche Hakopian, a mis en place un projet pour faire venir les Arméniens de
la Diaspora, surtout les jeunes, au Pays. Le projet porte le nom « Ari
Doun », littéralement « Viens à la maison ».
L’idée est
louable et pourrait marcher, si les conditions sont réunies, à l’instar
d’Israël qui dans ce domaine a une politique très efficace, bien pensée et bien
rodée.
Pour qu’un jeune
puisse se décider à s’installer en Arménie, il faut qu’il trouve un minimum de
confort auquel il (ou elle) est habitué dans son pays d’origine comme la
France, l’Amérique, le Liban, etc., pour prendre quelques exemples. Un
logement, même modeste avec les commodités d’usage est un minimum pour
commencer. Un travail et/ou la possibilité de démarrer une petite entreprise
pour subvenir à ses besoins et éventuellement de sa famille s’il (ou elle)
pense fonder une famille, ce que, in fine, est le but recherché.
La démographie
Car l’un des
problèmes principaux de l’Arménie est sa démographie. C'est une question
stratégique importante si on prend en compte la démographie galopante de ces
deux voisins hostiles que sont la Turquie et l’Azerbaïdjan. Le problème est
encore plus sensible dans le cas de la République du Haut-Karabagh et dans les
territoires libérés.
L’hémorragie a
commencé dans les premières années de l’indépendance où l’Arménie a vu partir
des dizaines de milliers de ses citoyens parmi lesquels des
« cerveaux » qui font cruellement défaut aujourd’hui pour former le
socle d’une élite indispensable pour diriger le pays.
L’émigration, au
début des années 90, pourrait s’expliquer par les séquelles du terrible
tremblement de terre de 1988, la guerre du Haut-Kharabagh qui a suivi (plus
meurtrière que celle de la Bosnie), le passage brutal à l’économie du marché
après 70 années de communisme qui, malgré le système incontestablement
tyrannique et totalitaire, donnait une certaine sécurité à la population dans
les domaines de l’emploi, la santé et l’éducation. Mais comment expliquer
qu’aujourd’hui, dix-neuf années après l’indépendance, près de 40% des Arméniens
(selon un récent sondage Gallup) veulent partir coûte que coûte de ce pays
(alors que ce taux est de 14% pour la Géorgie et de 12% pour l’Azerbaïdjan).
Pire, quand nous interrogeons les gens dans la rue (commerçants, chauffeurs de
taxis, institutrices...) ils sourient et disent que le pourcentage serait, en
réalité, beaucoup plus élevé. Comment ne pas réagir quand on entend de plus en
plus de gens nous dire « les Arméniens vivent bien partout dans le
monde... sauf en Arménie » ? Comment ne pas avoir la gorge serrée quand on
entend dire par la population ou de la part des intellectuels que « les
Géorgiens sont en train de construire leur pays, jour après jour, et les
Arméniens en train de détruire le leur » ?
Donc il y a bien
quelque chose qui ne va pas. Et ce sous les trois présidences depuis
l'indépendance. Le constat est le même, et le diagnostic presque unanime dans
les organisations politiques de la diaspora mais aussi dans la société civile,
dans les associations humanitaires, culturelles, etc.
L’ennemi numéro 1 : la corruption
La corruption est
dans les différentes sphères de l’État, au plus haut niveau, dans
l'administration alimentée par une oligarchie qui en profite et qui se partage
le gâteau, découpé en monopoles. Cette nouvelle nomenklatura[1] ne se cache même
pas, sûr de son impunité, face à une justice impuissante (sinon corrompue elle-même).
Par conséquent
l’urgence est de mettre en place un projet, par exemple « Mna Doun »
(Reste à la maison), pour arrêter l’émigration, avant de penser à faire venir
des Arméniens de la diaspora dans la Mère Patrie.
Inciter les gens
à venir s’installer en Arménie dans l’état actuel des choses n’a aucun sens est
serait même contreproductif. Puisque ceux qui seraient tentés par l’aventure
seraient vite désenchantés face à cette détérioration de la vie quotidienne,
frustrés par l’impossibilité de faire appliquer les lois sensées de protéger le
libre commerce et de prendre conscience que la justice est à deux vitesses dans
ce pays où la plupart des députés se font élire pour avoir simplement
l’immunité parlementaire pour continuer ainsi à exercer leur
« business ». Ainsi ces « nouveaux pionniers », attirés par
le projet « Ari Doun », repartiraient alors dans leur pays d’origines
pour faire une contre propagande proportionnelle à leur déception.
Se taire ou parler ?
Que faire ?
Ne rien dire pour « ne pas ternir l’image de l’Arménie » - et être
d’une certaine façon complice ? Ou dire la vérité, telle que nous l’apercevons
et l’entendons, exprimés par des gens d’en bas que nous côtoyons lors de chaque
visite au pays ? Des gens qui aiment leur pays et qui ne voudraient pas le
quitter. Malheureusement aujourd’hui ils sont dans une telle détresse qu’ils ne
peuvent plus compter que sur Dieu pour trouver un brin d’espérance afin de
continuer à vivre (ou survivre).
Certes ce n’est
pas à la Ministre de la Diaspora seule de mettre en place ce projet de
« Mna Doun » (elle n’aurait pas les moyens) mais au chef de l'état, au gouvernement et aux hommes
politiques (intègres) de mener une opération « main propre » pour
éradiquer enfin ce cancer qui ronge ce beau pays et anéantit à petit feu ses
citoyens.
Au lieu de
courir après les « ennemis extérieurs » commençons par démanteler les
« ennemis intérieurs ».
[1] Le terme désignait péjorativement l'ensemble
des privilégiés (principalement les notables du PCUS et leurs familles) qui
détournaient et accaparaient à leur profit les avantages de la société
soviétique.