jeudi 26 janvier 2017

De la spécificité de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale

Le Conseil constitutionnel gardien de la spécificité de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale

 

Le Conseil constitutionnel, dans une récente décision (8 janvier 2016), relevait que la répression du négationnisme n’était constitutionnelle que dans le cas des faits commis par les puissances de l’Axe durant la Seconde Guerre mondiale, et que la loi Gayssot ne visait que ces faits. 

C’est pour contrer cette dernière décision que les parlementaires, outrés, avaient tenté d’élargir la répression par une nouvelle loi. L’objectif, en particulier, était de réprimer la contestation de l’existence du génocide arménien.
Mais le Conseil constitutionnel, présidé par Laurent Fabius, profite d’avoir été saisi sur d’autres choses pour, d’office (alors qu’on ne le lui demandait pas), se prononcer sur cette disposition. Et, en ce 26 janvier 2017, il l’écarte de la loi. Le droit français reste ainsi sur la ligne d’une absolue exclusivité de la répression au profit de l’histoire officielle de la Shoah.
Avant d’en faire un éventuel commentaire plus approfondi, voici le texte lui-même, expurgé des autres questions.

Damien Viguier

Décision n° 2016-745 DC du 26 janvier 2017


(Loi relative à l’égalité et à la citoyenneté)


LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI, dans les conditions prévues à l’article 61, deuxième alinéa de la Constitution, de la loi relative à l’égalité et à la citoyenneté sous le n° 2016-745 DC, le 27 décembre 2016, par MM. (suivent les noms des sénateurs). Il a également été saisi le 27 décembre 2016, par MM. (suivent les noms des députés).


Au vu des textes suivants :


- la Constitution ;


- l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;


- Etc. ;


Et après avoir entendu le rapporteur ;


LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :


1. Les sénateurs et les députés requérants défèrent au Conseil constitutionnel la loi relative à l’égalité et à la citoyenneté. Ils contestent (suivent les dispositions contestées parmi lesquelles ne figure par le 2° d l’article 173 de la loi de 1881).


(…)


191. Le 2° de l’article 173 de la loi déférée modifie l’article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881. En application du dernier alinéa de ce 2°, la négation, la minoration ou la banalisation de façon outrancière d’un crime de génocide, d’un crime contre l’humanité, d’un crime de réduction en esclavage ou d’un crime de guerre sont punies d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende lorsque cette négation, cette minoration ou cette banalisation constituent une incitation à la violence ou à la haine par référence à la prétendue race, la couleur, la religion, l’ascendance ou l’origine nationale.


192. Aux termes de l’article 11 de la Déclaration de 1789 : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ». L’article 34 de la Constitution dispose : « La loi fixe les règles concernant... les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques ». Sur ce fondement, il est loisible au législateur d’édicter des règles concernant l’exercice du droit de libre communication et de la liberté de parler, d’écrire et d’imprimer. Il lui est également loisible, à ce titre, d’instituer des incriminations réprimant les abus de l’exercice de la liberté d’expression et de communication qui portent atteinte à l’ordre public et aux droits des tiers. Cependant, la liberté d’expression et de communication est d’autant plus précieuse que son exercice est une condition de la démocratie et l’une des garanties du respect des autres droits et libertés. Il s’ensuit que les atteintes portées à l’exercice de cette liberté doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif poursuivi.


193. Le dernier alinéa du 2° de l’article 173 permet de réprimer la négation de certains crimes, lorsque cette négation constitue une incitation à la violence ou à la haine par référence à la prétendue race, la couleur, la religion, l’ascendance ou l’origine nationale, y compris si ces crimes n’ont pas fait l’objet d’une condamnation judiciaire.


194. En premier lieu, si la négation, la minoration ou la banalisation de façon outrancière de certains crimes de génocide, crimes contre l’humanité, crimes de réduction en esclavage ou crimes de guerre peuvent constituer une incitation à la haine ou à la violence à caractère raciste ou religieux, elles ne revêtent pas, par elles-mêmes et en toute hypothèse, ce caractère. De tels actes ou propos ne constituent pas non plus, en eux-mêmes, une apologie de comportements réprimés par la loi pénale. Dès lors, la négation, la minoration ou la banalisation de façon outrancière de ces crimes ne peuvent, de manière générale, être réputées constituer par elles-mêmes un abus de l’exercice de la liberté d’expression et de communication portant atteinte à l’ordre public et aux droits des tiers.


195. En deuxième lieu, aux termes du septième alinéa de l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881 actuellement en vigueur, est puni d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende le fait de provoquer à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée. Dès lors, les dispositions introduites par le dernier alinéa du 2° de l’article 173, qui répriment des mêmes peines des propos présentant les mêmes caractéristiques, ne sont pas nécessaires à la répression de telles incitations à la haine ou à la violence.


196. En troisième lieu, et compte tenu de ce qui est rappelé au paragraphe précédent, le seul effet des dispositions du dernier alinéa du 2° de l’article 173 est d’imposer au juge, pour établir les éléments constitutifs de l’infraction, de se prononcer sur l’existence d’un crime dont la négation, la minoration ou la banalisation est alléguée, alors même qu’il n’est pas saisi au fond de ce crime et qu’aucune juridiction ne s’est prononcée sur les faits dénoncés comme criminels. Des actes ou des propos peuvent ainsi donner lieu à des poursuites au motif qu’ils nieraient, minoreraient ou banaliseraient des faits sans pourtant que ceux-ci n’aient encore reçu la qualification de l’un des crimes visés par les dispositions du dernier alinéa du 2° de l’article 173. Dès lors, ces dispositions font peser une incertitude sur la licéité d’actes ou de propos portant sur des faits susceptibles de faire l’objet de débats historiques qui ne satisfait pas à l’exigence de 41 proportionnalité qui s’impose s’agissant de l’exercice de la liberté d’expression.


197. Il résulte de ce qui précède que le législateur, en réprimant la négation, la minoration et la banalisation de certains crimes n’ayant fait l’objet d’aucune condamnation judiciaire préalable, a porté une atteinte à l’exercice de la liberté d’expression qui n’est ni nécessaire ni proportionnée. Le dernier alinéa du 2° de l’article 173 est donc contraire à la Constitution.



(…)



LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :


Article 1er.


– Sont contraires à la Constitution les dispositions suivantes de la loi relative à l’égalité et à la citoyenneté : – (…) le dernier alinéa du 2° de l’article 173 ;


Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 26 janvier 2017 où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.

lundi 9 janvier 2017

Israeli-Palestinian Problem and President Obama’s Swansong

Israeli-Palestinian Problem 
and President Obama’s Swansong


By Edmond Y. Azadian

The long-simmering Israeli-Palestinian conflict once again grabbed the headlines because of the Obama Administration’s parting shots. 


This conflict has been one of the most intractable struggles in the world since 1948, when the state of Israel was created. However, many similar conflicts which initially seemed equally intractable have been solved, such as apartheid in South Africa, the independence of East Timor, the creation of South Sudan, the bloody Catholic-Protestant sectarian conflict in Northern Ireland, and so on.
Yet the Palestinian question remains one of the topical issues of the world press and diplomacy, because the explosive ingredients of the problem will never neutralize each other. As much as the US wishes to play the role of an honest broker, there are compelling domestic issues which force each succeeding administration to arm and politically support Israel’s position, thus confining US policy to unproductive realms.
From the Armenian perspective, the issue is viewed in two different dimensions; one is moral and emotional, while the other one is rational. Armenians sympathize with the Jews in Israel who are survivors of the Holocaust. But the similarities do not stop there; they go back deep into history with Babylonian and Egyptian captivities and Roman occupation (Masada syndrome), all the way to Russian pogroms and expulsion from Spain in the 15th century.
Similarly, Armenians empathize with the Palestinians who have witnessed massacres, expulsion from their own lands and enduring harsh colonial rule to this day. Armenians have been expelled from Jerusalem and their lands have been expropriated like the Palestinians.
Therefore, on an emotional and moral level, we wish both parties may live in peace in their secure homelands.
As far as politics is concerned, Armenians have all rights to observe an equal distance from both sides; when Israel supplies $5 billion worth of sophisticated weaponry to Azerbaijan, knowing full well that the only target of those weapons is Armenia, Israel loses the pretense of being a friendly country. In addition, officially it continues to deny the Armenian Genocide.
On the other hand, the head of the Palestinian Authority, Mahmoud Abbas, visits Baku and consoles President Ilham Aliyev with words reminding him that the Palestinians understand the Azeris’ pain, having lost their territory just like them.
As we can see, Armenia and Armenians are disposable on the world political marketplace with impunity.
But today, the issue has made news across the world again after the United Nations Security Council passed UN Resolution 2334 declaring settlements on the West Bank illegal. The resolution passed with a 14-0 vote, with the US abstaining. And then, Secretary of State John Kerry, blowing up with exasperation after eight years of negotiations, made an impassioned plea to the Israeli leaders not to bury the two-state solution, which may lead Israel to an impasse.
With the UN vote and Kerry’s six-point-solution proposal to the Israeli-Palestinian conflict, all hell broke loose. Responding to Mr. Kerry’s speech, Prime Minister Benjamin Netanyahu fired back, “Israelis do not need to be lectured about the importance of peace by foreign leaders.” And this only after a few weeks following the Obama Administration’s agreement to supply $38 billion in modern military hardware to the Jewish state.
The last eight years have been very uneasy between Mr. Netanyahu and President Obama, especially after the Israeli Prime Minister gave his abrasive speech in 2015 criticizing Obama for making peace with Iran, at a joint session of the US Congress, at the invitation of the Republican opposition, while snubbing the president.
In addition to unequivocal military support, the US has extended full diplomatic support for all Israeli actions, whether they harm US interests or not.
Douglas J. Feith, a member of the Neo-Con cabal, which has pushed the US into bloody misadventures, signed an article in the Wall Street Journal (December 29, 2016) titled “The War on Israel Never Ends,” as if the Obama administration had declared war against that country by refusing for once to back an illegal Israeli action that the world condemns. The paper’s editorial reinforces Mr. Feith’s line of thinking with the headline “Kerry’s Rage against Israel.”
The New York Times editorial on the same date, by contrast, validated the US position by the following statement: “President Obama has used the American veto and its diplomatic muscle more assiduously than any previous American president to shield Israel from unwarranted criticism. But nowhere is it written that an American president is obligated to shelter Israel from international criticism that is consistent with decades-old American policy and with American interests.”
That kind of logic does not cut much ice with the incoming president, who has tweeted, “Stay strong Israel. Come January 20, things will be different.”
Mr. Kerry recognized at the end of his speech that the incoming president might reverse the Obama policy and encourage the settlement policy. Since 2009, when Obama took office, the number of Israeli settlers on the West Bank has shot up by 100,000 to 400,000; that number has reached 208,000 in East Jerusalem from the previous 193,000. The current Israeli administration has been creating facts on the ground to render the two-state solution impossible. Although his right-wing coalition has given up on the two-state solution a long time ago, Premier Netanyahu continues to pay lip service to the formula to lull the world. The New York Times states in its editorial that “This cynical cycle of the settlement movement: when the world is silent, Israel can build settlements. When the world objects, Israel must build settlements. Under any scenario, settlements will grow and the possibility of a two-state solution will recede.”
The right-wing settlers are counting on continued US support and time to bury the two-state solution. A coalition partner, Naftali Bennet, declared, “The era of the two-state solution is over.”
While Mr. Kerry and friends like Thomas L. Friedman worry that down the road Palestinians will outnumber Jews which will hamper Israel’s desire to be Jewish and democratic, extremists like Avigdor Lieberman, the minister of defense, have other designs: to expel Palestinians to Jordan and the Sinai Peninsula and solve the demographic disaster. Israel had already some secret plans with Egypt’s President Mohamed Morsi’s administration to accommodate the expelled Palestinians in Sinai. That was one of the reasons for the downfall of Morsi.
Even in Mr. Kerry’s six-point proposal, there is no right to return for the Palestinian refugees. Once the precedent is set, the world will forget the refugees. Armenians lost their land and today no one asks or remembers their right to return.
At this time, the question is why did Mr. Obama choose this moment to enunciate his policy when his departure is around the corner. He has proven to be a compromiser who tends to avoid confrontation. He reconciled with Cuba and signed a nuclear treaty with Iran. He avoided invading Syria, even after Turkey created a false-flag operation by interjecting chemical weapons in the battlefield, to the extent that he was thought to be weak by his opponents. But he expelled the Russian diplomats and he confronted Israel. Those acts, especially the latter, will haunt him and will define his legacy.
President Jimmy Carter published his book in 2009, titled Palestine: Peace not Apartheid. For his stand, the news media almost rendered him a political pariah. Undeterred, last November he called on President Obama to recognize the state of Palestine before the end of his term.
Mr. Obama made this issue his swansong, recognizing that of all his actions, his last decision will weigh heavily in defining his legacy. After all, even President Roosevelt’s legacy is being revised for his tepid treatment of Holocaust survivors arriving at US shores.
The way politics is set up, there seems to be no immediate and equitable solution to the Israeli-Palestinian conflict.
But Mr. Obama is free to sing his swansong.




mardi 3 janvier 2017

Réflexions sur le Moyen-Orient



 Réflexions sur le Moyen-Orient
et sur la Syrie en particulier

Général (2S) François Cann
le 15 décembre 2016


Deux séjours opérationnels au Liban m’ont amené à m’intéresser de près à « ce Moyen-Orient compliqué » que dépeint le commandant De Gaulle, lorsqu’il y est chargé de mission en 1933 «vers lequel il s’envole avec des idées simples». 1

Les caméras occidentales nous envoient actuellement des images insoutenables de pauvres populations civiles prises entre deux feux, fuyant sous les bombardements qui frappent la ville d’Alep.
L’émotion est à son comble et, comme elle stérilise la réflexion, « les idées simples » deviennent « des idées simplistes » : il y a d’un côté « les gentils », les nations occidentales et les « rebelles modérés » (au fait : c’est quoi un rebelle modéré ?) et de l’autre côté, « les méchants », Poutine et Bachar el Assad.
On ne peut rien comprendre au Moyen-Orient, et encore moins au Proche-Orient, dès lors qu’on occulte cette guerre de religion et cette haine mortelle qui, depuis le septième siècle, opposent les Sunnites (les gardiens de la foi ; Sunna= fois) et les Chiites (en quelque sorte les protestants de l’Islam depuis l’assassinat d’Ali, le gendre du prophète en 661).
Le chiisme connaît plusieurs courants dont l’alaouisme qui, en Syrie est la confession de Bachar el Assad et de la plupart des dirigeants syriens.
La Syrie est à majorité sunnite (60 %), complétée par 15 % d’Alaouites, 10 % de Chrétiens et 15 % de Druzes. Si on ajoute à ces minorités, environ 10 % de Sunnites qui ont fait allégeance au pouvoir des Assad, soit par ambition politique, soit par intérêt économique et financier, alors il est inexact de dire que tout le peuple syrien est contre le pouvoir.
Et pourtant l’Occident reste accroché à cette image par ses caméras qui n’exercent que d’un côté.
***
Au XIIIe siècle, les Sunnites, considérant que les Alaouites sont des hérétiques, prononcent une fatwa leur imposant la conversion ou la mort. Les Alaouites se soulèvent mais, vaincus, ils se réfugient dans les Monts Ansarieh qui dominent la Méditerranée.
Miséreux, ils se livrent au banditisme et sont sévèrement combattus par les Ottomans qui occupent le pays et dont ils deviennent des esclaves. Les irrédentistes sont victimes d’exactions sauvages : les Turcs en massacrent 30 000 à Homs en 1317 et 10 000 à Alep (déjà) en 1516.
Il faudra attendre le XIXe siècle pour que l’Islam reconnaisse l’alaouisme.
Lors de la première guerre mondiale, l’empire ottoman, s’étant rangé aux côtés de la Prusse, les Syriens rallient les forces franco-britanniques. En 1920, la France se voit confier un mandat de la SDN dont le but est la création d’une république syrienne, d’un état druze et d’un territoire des Alaouites. Ces derniers intègrent en nombre les nouvelles forces armées et autres milices. C’est pour eux un tournant décisif : la fin de leur condition de citoyens de second rang et aussi un tremplin pour leurs ambitions politiques.
C’est cette revanche des persécutés, des opprimés et des sans-grades à laquelle on assiste aujourd’hui en Syrie.
En septembre 1936, près d’un demi-million d’Alaouites signent un manifeste adressé à la SDN : «… les Alaouites sont des êtres humains et pas des bêtes prêtes à l’abattage. Aucune puissance au monde ne peut les forcer à accepter le joug de leurs ennemis traditionnels et héréditaires en étant leurs esclaves pour toujours. Les Alaouites regretteront profondément la perte de leur amitié et de leur attachement fidèle et noble à la France qui jusqu’à présent a été tant aimée, admirée et adorée par eux ».
En 1939, cinq mille Alaouites, portant des armes françaises, montent une rébellion anti-sunnite. Mais en 1946 l’ONU prononce la fin du mandat français de la SDN de 1920. Alors les Alaouites se démènent pour que leur territoire officiel soit rattaché au Liban. En vain.
En 1970 un général d’aviation, Hafez el Assad (le père de l’actuel Bachar), de confession alaouite, porté par le parti Baas et par l’armée, accède au pouvoir. Pour la première fois, les Sunnites ne dirigent plus la Syrie. Mais aussitôt ressurgissent les vieux démons : en 1980 un commando de Frères musulmans s’infiltre dans l’Ecole des Cadets d’Alep ; ayant séparé les élèves sunnites des élèves chiites, les agresseurs égorgent ces derniers un à un. La vengeance sera terrible : la ville de Hama, d’où proviennent les agresseurs, est aussitôt encerclée. Le lendemain matin on y dénombre 25 000 cadavres !
L’ascension fulgurante de Hafez el Assad suscite une remarque d’ordre général : les princes sunnites du Moyen-Orient ont souvent ignoré, voire méprisé, les forces armées. Les généraux s’en sont souvenus :

  • ·         en Turquie, Kemal Atatürk émerge en 1923,
  • ·         en Égypte, Neguib en 1950 et Nasser en 1952,
  • ·         en Libye, Kadhafi en 1969,
  • ·         en Syrie, Hafez al-Assad en 1970,
  • ·         en Irak, Saddam Hussein en 1979,
  • ·         et plus récemment, en Égypte, Al Sissi.

Mais revenons à la Syrie où l’on peut imaginer que le duel à mort millénaire ne parvienne pas à son terme et que la lassitude propre à toute guerre civile finisse par gagner les esprits et se traduise par une solution de partition géographique du genre « chacun chez soi ». Il suffirait alors, en quelque sorte, de donner vie au projet avorté de la Société des Nations (SDN) qui, en 1920 après la signature du traité de Sèvres, avait prévu la quadruple création d’une république syrienne, d’un état druze, d’un territoire Alaouites et d’un État kurde. Cette partition serait largement encouragée alentour par les Libanais, les Israéliens, et les Kurdes.
·         Par les Libanais parce qu’ils vivent déjà ce genre de partition : il y a aujourd’hui « quatre Liban », chiite, chrétien, sunnite et druze,
·         par les Israéliens dont l’État a été créé en 1948 en vertu d’un concept « une ethnie, une religion »,
·         par les Kurdes qui sont 25 millions d’apatrides répartis entre l’Iran, l’Irak, la Syrie, la Turquie, l’Azerbaïdjan et l’Arménie.
Supposons que cette partition se réalise : les Alaouites seraient regroupés vers la mer, les Chrétiens se replieraient au Liban et les Druzes dans le Golan où ils sont déjà largement majoritaires. Et alors, la Syrie restante, sunnite, trouverait à son est les Chiites d’Irak, à son ouest le Hezbollah libanais et à son sud les Druzes du Golan. Ne leur resterait alors qu’un allié religieux au nord : les Sunnites de Turquie, ses anciens ennemis ottomans dont le seul fait de prononcer le nom « Turquie » les terrorise. In fine, un avenir peu garant de stabilité pour l’ensemble de la région surtout si on se réfère à l’adage ancestral :
« On ne peut pas faire la guerre sans l’Égypte 
mais on ne peut pas faire la paix sans la Syrie.»
***
La Russie et la Syrie
Le monde occidental s’étonne de la persévérance de la Russie à opposer son veto à toute intervention en Syrie. On peut expliquer cette attitude par au moins huit motifs, un de forme et sept de fond.
La raison de forme tient à la vexation qu’ont subie les Russes lors de l’intervention franco-britannique en Libye qui, selon eux, a outrepassé les conditions du mandat fixé par le Conseil de sécurité de l’ONU.
Sept raisons de fond éclairent cette attitude de blocage :
1/à partir de 1960, les Soviétiques avaient constitué en Moyen-Orient quatre points d’appui stratégique pour contrer l’influence que les Américains exerçaient sur Israël, sur l’Arabie Saoudite, sur les pays du Golfe et sur le Pakistan. De ces quatre points d’appui, Syrie, Irak, Yémen, Égypte, il ne reste plus aux Russes que la Syrie de Bachar el Assad .
2/en 1919, à l’issue de la première guerre mondiale, le Moyen-Orient se trouve ré articulé. Par réflexe, les religions locales se rapprochent de leurs sources d’inspiration : les Sunnites vers la Mecque, les Chiites vers Téhéran, les Catholiques et les Maronites vers Rome et les Chrétiens orthodoxes vers Moscou. De sorte que la Russie, étant devenue l’Union soviétique en 1917, tout naturellement, les minorités orthodoxes de Syrie et du Liban qui sont resserrées sur la côte méditerranéenne, vont fournir l’essentiel des membres des partis communistes de Syrie et du Liban.
3/en 1960, lorsque la marine soviétique franchit en force le Bosphore pour prendre sa place en Méditerranée, elle trouve tout naturellement un accueil favorable chez les coreligionnaires orthodoxes syriens des ports de Tartous et de Lattaquié qui sont, depuis plus de cinquante ans, des bases navales indispensables aux navires russes.
4/un marin ayant par tradition une fille dans chaque port, depuis cette période, de nombreux mariages ont été célébré entre marins russes de passage et jeunes filles syriennes orthodoxes, ce qui porte aujourd’hui la communauté « pied-noir » russe à plus de 12 000 personnes le long de la côte syrienne. On ne peut pas imaginer un seul instant que Moscou les abandonne à une vengeance sunnite. Moscou respecte et protège ses « » pieds-noirs.
5/les Russes ont toujours eu le souci de nouer des liens avec l’Iran. Les frontières communes qu’ils avaient du temps de l’URSS ont disparu. Ils compensent ce manque par une relation Syrie – Irak – Iran.
6/les Russes ont maintenu les gros contrats d’armement que les Soviétiques avaient signés avec les Syriens du temps d’Hafez al-Assad.
7/et puis, en toile de fond, ce problème interne russe oppressant des attentats commis par les Tchétchènes qui sont d’obédience sunnite.

La Chine et la Syrie
Les Chinois se trouvent un peu dans la même situation que les Russes :
ils affrontent des problèmes de sécurité interne dans leur province la plus occidentale, le Xin-Jang peuplée de Ouigours qui sont également musulmans sunnites.
Par ailleurs, les Chinois, souffrant de carence en sources d’énergie, sont dépendants de l’Iran et de l’Irak pour le pétrole. Loin d’eux, l’idée de déplaire aux Chiites.

Un relent de guerre froide…
La Russie détient en Europe la quasi- exclusivité du marché du gaz, hormis quelques importations d’Algérie. En 2012, les États-Unis, avec l’accord du Qatar et de l’Arabie Saoudite, ont décidé de combattre ce monopole russe en misant sur un marché du gaz extrait au Qatar.
Ce gaz serait acheminé par un gazoduc vers la Méditerranée à destination de la Turquie (Adana), la Syrie (Lattaquié), le Liban (Tripoli) et Israël (Haïfa).
L’arrangement serait en bonne voie avec ces pays sauf, évidemment la Syrie, qui dans ce projet tient une place stratégique capitale : le parcours du gazoduc, partant du Qatar via l’Arabie Saoudite, éviterait l’Iran et l’Irak, pour atteindre la ville de Homs en plein milieu de la Syrie qui deviendrait une sorte de « gare de triage » en direction des quatre villes sus nommées de Turquie, du Liban et d’Israël.
Il faut donc, pour réaliser cette gare de triage faire tomber le régime syrien de Bachar afin de laisser place nette aux Sunnites du Qatar, d’Arabie Saoudite, de Syrie et de Turquie.
À cause du pétrole, Bush junior et son ministre de la défense, totalement investis dans l’industrie pétrolière du Texas, avaient riposté à l’attaque du 11 septembre 2001 en attaquant l’Irak alors que l’évidence commandait de mettre immédiatement « le paquet » sur l’Afghanistan. Une erreur qui devait leur coûter 4000 G.I. pour rien.
«Bis repetita placent », les Américains prennent des risques insensés, non plus pour le pétrole irakien, mais pour le gaz qatari. La guerre froide ressurgit mais cette fois sous une forme économique. Les Américains ne sont plus à un paradoxe près : en faisant affaire avec le Qatar, ils encouragent les salafistes qui tuaient leurs soldats en Afghanistan et en Irak.

La guerre des berceaux
Lorsqu’en 1979, je me trouvais au sud Liban où la population est presque exclusivement de confession chiite, j’avais observé, après l’avènement de Khomeiny en Iran, que le mot d’ordre donné aux femmes chiites était d’avoir au moins sept enfants. Ce mot d’ordre a été strictement respecté partout : en Irak, au Liban, au Yémen, à Bahreïn… où les chiites sont devenus majoritaires.
Ainsi une sorte d’axe stratégique partant de l’Afghanistan occidental, passant par l’Iran, l’Irak, la Syrie et le Liban atteint la Méditerranée et coupe en deux le monde sunnite avec au Nord la Turquie et au sud l’Arabie Saoudite et les pays du Golfe.
La situation est devenue conflictuelle partout au Moyen-Orient. On parle très peu du Yémen et encore moins de Bahreïn où les majorités chiites sont massacrées par les sbires de l’Arabie Saoudite. La situation est l’inverse de celle de Syrie mais comme les caméras en sont absentes, on n’en parle pas.
***
J’ai tenu à jeter ces quelques réflexions pour appeler l’attention de mes amis sur cette région explosive de la planète que constitue « ce Moyen-Orient d’autant plus compliqué » qu’il fait l’objet d’une mauvaise information, quand ce n’est pas de désinformation, par la plupart des médias occidentaux. 

1) Voir Vous avez dit : "Printemps arabe ?", Sigest, 2013 
EAN : 9782917329498