lundi 23 avril 2018

L’ère après Homo sovieticus


L’ère après Homo sovieticus





Le mardi 17 avril dans l’après-midi, quand je me suis assis sur un banc près du ministère des Affaires étrangères pour observer et écouter les manifestants qui conspuaient le nouvellement élu Premier ministre, Serge Sargsyan, je n’imaginais pas que celui-ci présenterait sa démission une semaine après.

Il y avait milliers de personnes, en majorité des jeunes, dans la rue Vasguen Sargsyan, bloquée dans les deux sens entre la place Shahoumian et le Hrabarag (pl. de la République). J’entendais le slogan devenu un hashtag depuis quelques jours, « Kayl ara, merjir Serjin » (Bouge ! Récuse Serge) ou « Miatsek ! » (Rejoignez-nous)

Alors que j’étais assis à peine depuis quelques minutes trois jeunes se sont rapprochés : « Excusez-nous hopar (mot traditionnel pour désigner oncle) on aura besoin de ce banc ». J’ai compris qu’ils allaient l’utiliser pour bloquer la circulation. Je me suis levé. « Excusez-nous encore pour le désagrément » m’ont-ils lancé avant d’emporter le banc à l’angle de la rue Khorenatsi et de la rue Beyrouth.


Ce court échange montrait le comportement de ces jeunes manifestants, très souvent des étudiants ; poli, calme, pratiquant la désobéissance civile sans violence (Ça change de Tolbiac !).    

C’est la force de ce mouvement qui, contre tout attente, a obligé le Premier ministre à jeter l’éponge au bout de 11 jours de manifestations incessantes à Yerevan mais aussi à Gyumri, à Vanadzor et pas plus tard qu’hier, dimanche, dans la région de Martuni, où je me suis trouvé bloqué par un barrage sur la route de retour d’Artsakh vers la capitale.

Le bref face à face, très tendu, entre Serge Sargsyan et Nikol Pachinian, le dimanche 22 avril dans la matinée, à l’hôtel Armenia, et la menace à peine dissimulée du Premier ministre (« N’avez-vous pas retenu la leçon du 1er mars » faisant allusion aux manifestations de 2008 lors de son élection comme président, qui avait fait 10 morts et centaines de blessés) ne présageait pas une issue aussi rapide à cette situation qui s’orientait vers une impasse tant les demandes de Nikol Pachinian apparaissaient radicales, notamment la démission du PM, en plus d’une absence totale de programme.


Le député d’opposition a gagné son pari, l’homme le plus détesté du pays a quitté son poste, le peuple est en liesse ce soir et fête la victoire dans une ambiance fraternelle jamais vu depuis le « mouvement Karabagh » de 1988.

Reste à ne pas gâcher cette énergie et surtout à ne pas décevoir le peuple. Espérons que les Homo sovieticus laisseront la place à une nouvelle génération, tout simplement à des patriotes arméniens ayant en tête qu’une chose : la défense des intérêts de ce jeune pays…    

Varoujan SIRAPIAN
Directeur de Europe&Orient
Erevan, le 23 avril 2018