lundi 28 juillet 2014

REFLEXIONS SUR LES CRIMES COMMIS EN PALESTINE

REFLEXIONS  

SUR LE SILENCE ASSOURDISSANT DU CCAF SUR LES CRIMES COMMIS EN PALESTINE





Raffi KALFAYAN
Juriste, Ex-président de la FIDH
  27.07.2014

   


J’ai exprimé ces derniers jours aux organisations membres du CCAF (Conseil de Coordination des Associations Arméniennes de France) mon profond sentiment de colère pour leur manque de courage politique et dhumanité car aps 17 jours de crimes en direct dans la Bande de Gaza, je n’ai pas lu une seule ligne de dénonciation des crimes commis par l’armée israélienne sur les populations civiles de Gaza. Cette remarque vaut aussi pour les organisations arméniennes qui se déclarent protectrices des droits de lhomme et qui ont des revues de presse lacunaires sur la question.

La lecture du communiqué diffusé par le bureau national du CCAF le 23 juillet 1 est le déclencheur de cette colère et de ces réflexions. Si la dénonciation et la condamnation des discours ou actes haineux, racistes, ou antisémites relèvent dune obligation impérieuse, quils s’agissent d’ailleurs de destinataires juifs ou arabo-musulmans en l’espèce 2, celles-ci pondent à des normes respectueuses du droit et de l’équité. La tonalité de ce communiqué est extme, et lobjet est traité en faisant totale abstraction du contexte géopolitique qui suscite un sentiment dinjustice face à limpunité dont jouit lEtat dIsraël, ou du contexte intérieur interdiction administrative des manifestations qui suscite des réactions de révolte. Il convient enfin de souligner que les débordements et dérives qui ont eu lieu dans Paris ou Sarcelles font lobjet denquêtes et quà ce titre le CCAF aurait être plus ser dans ses formulations et ne pas se poser en procureur.

La piètre et lâche posture de François Hollande, dès sa prise de position au début du conflit, comme dans bien d’autres domaines, mais, de plus, en rupture avec la politique étrangère plus équilibe de tous ses pdécesseurs dans ce conflit, dune part, et le parti pris sans nuances de Manuel Valls, d’autre part, nont fait que renforcer ces sentiments de volte populaire. Mais reconnaissons, pour éviter d’en faire une critique à sens unique, quà droite de l’échiquier politique nous n’avons entendu aucun leader politique s’élever face à ces injustices. Lislamophobie ambiante et croissante dans ce pays brouille les esprits. Faut-il pour autant que le CCAF sinscrive dans cette lâcheté collective et complice et adopte un discours sans nuance et extme ?

Le conflit israélo-palestinien a toujours cristalli les passions car il est un conflit emblématique, car un Etat, Isrl, défie de manière arrogante le droit international, mais aussi ts complexe sur un plan géopolitique et juridique. Les pays arabes sont autant, sinon plus, à blâmer dans cette situation de souffrance et dinjustice dans laquelle est plongée la population palestinienne depuis trop longtemps car ils nont jamais fait front commun pour défendre les droits légitimes du peuple palestinien, maintes fois reconnu par les Nations Unies ; le nouveau pouvoir égyptien la dictature Al Sissi délaisse la population palestinienne et se jouit de la tentative de destruction du Hamas; les monarchies pétrolières ou gazières, avec la bienveillance occidentale, sont plus investies dans la lutte fratricide sunnite-chiite qui ne débouche que sur plus de radicalisation.

Cela nefface pourtant en rien la responsabilité de lEtat dIsraël dans la commission de crimes internationaux. La nouvelle commission d’enquête internationale décidée par le Conseil des droits de lhomme de lONU le mercredi 23 juillet 2014 établira la nature de ces crimes, qui sont passibles de poursuites devant la Cour pénale internationale. Comme toujours, les Etats Unis, qui sont le véritable point de blocage à une solution équilibe et durable de ce conflit, ont voté contre ; Les Européens ont voté, comme dhabitude, en ordre dispersé : ceux qui continuent à culpabiliser pour les crimes de la seconde guerre mondiale à l’encontre des Juifs s’abstiennent. Il suffit dobserver de manière comparative les mesures prises par lUnion européenne contre la Russie à propos des combats en Ukraine, alors que la Russie n’est pas officiellement en guerre contre lUkraine, dune part, et l’absence de sanctions prises contre Israël, alors que cet Etat continue ses opérations militaires malgré toutes les pétitions des crimes, d’autre part, pour comprendre le sentiment dincomphension et de volte face à cette politique étrangère discriminatoire de lUnion européenne.

Le rapport Goldstone sur les crimes commis pendant la guerre contre Gaza fin 2008-début 2009 avait été approuvé par l'Assemblée générale des Nations Unies le 5 novembre 2009. Ce rapport pourtant équilib, qui estimait que des crimes de guerre avaient été commis à la fois par Isrl et les Palestiniens lors dudit conflit, na pas été suivi d’effets. La solution des Nations Unies avait indiqué : « Ce vote est une déclaration importante contre l'impunité. C'est un appel en faveur de la justice […] Sans justice, il ne peut y avoir de progrès vers la paix. Un être humain devrait être traité comme un être humain sans tenir compte de sa religion, de sa race ou de sa nationalité. Toutes les parties concernées devraient maintenant consacrer leurs efforts pour mettre en œuvre cette solution ».

Lhistoire de ce conflit est difficile à apphender, car déformée pour ceux qui ne le connaissent quà travers des média français, qui sur ce thème comme sur d’autres, sont pour la plupart, à l’exception notable du Nouvel Observateur, de Mediapart ou Le Monde, incompétents ou volontairement partiaux. Je donnais quelques éléments d’éclairage dans les Nouvelles dArménie Magazine en janvier 2009 (« Gaza, un révélateur des myopies politiques arniennes », NAM, Janvier 2009), qui, cinq ans après, se confirment de manière encore plus criante. Je recommande au CCAF de lire la presse israélienne, entre autres Haaretz, pour se faire une idée plus précise des réalités de ce conflit et des opinions contradictoires au sein de ce pays. Je leur recommande de lire les voix courageuses des intellectuels, militants des droits de lhomme, juifs de France ou dIsrl, mais pourquoi pas aussi cette vibrante tribune de l’artiste israélienne populaire Noa dans le Nouvel Obs 4. Les idées extmes, de quelque bord, mènent au chaos humanitaire et à limpasse politique. Ceux qui les relaient de manière aveugle tombent aussi dans cet extrémisme.


C’est bien au nom des principes de justice et dhumanité, qui sont au cœur de mes engagements que je m’élève contre l’absence de réaction des institutions repsentatives de la communauté arménienne de France face à la folie meurtrière d’Isrl, dont lissue ne peut être que plus de haine entre les deux peuples et limpossibilité de créer les conditions à l’établissement dune paix durable. Comme je l’avais relevé en janvier 2009, les alliances et les allégeances qui justifient le silence des instances repsentatives arméniennes sont des myopies politiques car relevant dune vision illusoire et étriquée des enjeux de la question arménienne. Lexplication que jai rue en retour est la suivante :  

(i) nous sommes divisés au sein du bureau national sur la question ;  
(ii) le CCAF na pas vocation à s’exprimer sur les questions de politique étrangère ; 
(iii) nos relations avec les institutions communautaires juives sont sensibles dans certains dossiers du moment.

Ce dernier élément est vélateur du pari fait, et j’espèrerais que mon propos puisse être démenti par des faits concrets dans le futur, par le CCAF, qui compte sur le CRIF et d’autres alliés de circonstance pour à la fois soutenir lhypothétique projet de loi visant à réprimer le négationnisme du génocide arménien et également les interventions aups de la Cour européenne des droits de lhomme dans laffaire Perinçek contre Suisse, qui a été renvoyée devant la Grande Chambre de la Cour européenne. L’absence de soutien, c’est un euphémisme, du CRIF à la loi Boyer début 2012, et lunicité sanctuarisée de la Shoah et de la pression de sa négation sont pourtant des éléments de politique récurrents des institutions juives de France, mais aussi d’ailleurs : prenons par exemple la politique controversée de lADL (L'Anti-Defamation League « Ligue anti-diffamation » est une ONG aux États-Unis dont le but premier est de soutenir les Juifs contre toute forme d'antisémitisme et de discrimination. Cest en quelque sorte léquivalent de la LICRA française) aux États Unis, qui souffle le chaud et le froid sur la reconnaissance du génocide arménien au travers de ses dirigeants. La prise de fonction psidentielle en Israël de Reuben Rivlin, qui a fait des déclarations en faveur de la reconnaissance du génocide arménien, quand il était psident de la Knesset ouvre des perspectives intéressantes. Tout ceci nest toutefois que pure spéculation et mettre à la une quotidienne des média arméniens les déclarations dErdogan sur les crimes commis à Gaza est une entreprise futile, car lalliance d’Isrl et de la Turquie est beaucoup plus solide quil ny paraît, et des retournements aps l’élection psidentielle en Turquie sont pvisibles. Le chantage à la reconnaissance du génocide arménien par Israël a lais place à un levier de pression israélien autrement plus puissant : la déclaration affichée de certains experts israéliens à la création dun « Kurdistan » 6. Il est avéré quIsraël a formé les combattants kurdes en Irak. Mais il faut regarder plus loin encore. A linternational, il convient de considérer que les opinions des pays arabo-musulmans seront également nécessaires parmi la communauté des nations dans la future bataille internationale que les descendants des victimes du génocide arménien vont devoir livrer pour obtenir des parations de la Turquie. A lintérieur, il convient de considérer que la population française a une minorité arabo- ou turco-musulmane importante et que son poids ne fera que croître, et la communauté arménienne na aucun intérêt à s’aliéner ces minorités par des prises de position partiales.

La seule différence notable, par rapport à 2009, est que, si Recep T. Erdogan pouvait être loué pour son courage politique, celui-ci était soutenu alors par une stature respectable sur le plan intérieur et extérieur, en 2014 sa légitimité est duite à néant : la situation des droits de lhomme et des libertés s’est sensiblement dégradée en Turquie, la montée du racisme et de l’antisémitisme est menaçante 7, son soutien aux islamistes sunnites extmistes en Syrie est marqué, autant d’éléments qui rendent son discours dénonciateur inaudible.

Le deuxième élément de la action du CCAF est lui plus déroutant. Ainsi, le CCAF serait en mesure de s’exprimer sur les questions touchant les Arméniens de France sans singérer dans la politique étrangère. Il suffit de consulter les titres des derniers communiqués du CCAF sur leur site pour constater le contraire : « Non à la venue dErdogan en France » ; « Appel à la Suisse contre larrêt scélérat de la Cour européenne des droits de lhomme » ; « Le CCAF condamne le signal positif de Fabius à la Turquie », etc... La Ligue des droits de lhomme, affiliée à la FIDH, est elle aussi tenue de traiter les questions relatives aux droits de lhomme en France, laissant les prises de position internationales à la FIDH. Ce n’est pas pour autant qu’elle élude les problèmes internationaux de ses analyses et communiqués. C’est une question de bon sens et de rigueur intellectuelle que d’analyser un événement ou un fait à la lumière du contexte. Dans le cas des manifestations de Paris ou de Sarcelles, il suffit de lire le communiqué de la LDH pour s’en convaincre 8.

La condamnation dun crime international, quil s’agisse dun crime de guerre, dun crime contre lhumanité, ou un génocide, dépasse toutes les justifications que lon essaye dy apporter et les circonstances au nom desquelles il est commis, car il touche à l’essence même de lhumanité. Les Arméniens sont bien placés pour savoir de quoi il est question ici. Le négationnisme officiel de la Turquie nous confronte tous les jours à cette réalité. Mais regardons le présent et une situation plus actuelle encore, la voix des Arméniens serait-elle audible aups de la communauté des Nations si, du fait dun snario de plus en plus vraisemblable, le Karabagh se retrouvait sous une pluie de bombes aries ? La dénonciation des violations graves des droits de lhomme, et notamment celle des crimes internationaux est un impératif moral et politique. Les droits de lhomme sont uns et indivisibles ; ses normes et principes s’appliquent à tous et en toutes circonstances. Les Arméniens ne peuvent transiger sur ces principes au nom de d’alliances et dintérêts prétendument tactiques et certainement éphémères. Il nest pas question de prendre un positionnement pro ou anti-israélien ou un positionnement pro ou anti-Hamas, mais d’exprimer son refus des crimes internationaux, du gne de limpunité et enfin être solidaire avec les populations civiles palestiniennes.

Le premier élément deaction du CCAF serait-il alors la véritable cause de ce silence gê ? Si c’était le cas, cela soulèverait de graves interrogations sous-jacentes sur le CCAF et son bureau national. Le manque de représentativité du CCAF dans la communauté arménienne de France est lié à l’absence de sa légitimité : il ny a pas de scrutin démocratique communautaire pour désigner les dirigeants du CCAF. Je ne leur en tiens pas rigueur, car ils en sont conscients. Cependant, à défaut de l’existence dun tel mécanisme, il est de leur responsabilité personnelle de veiller d’autant plus à ce que des liaisons particulières ou des intérêts privés et personnels ne viennent interférer sur lobjectivité politique et morale, et la probité intellectuelle que la communauté est en droit d’attendre d’eux en relation avec des questions aussi sensibles que celles liées aux crimes internationaux et aux droits de lhomme, mais aussi celles relatives à l’avenir des relations entre communautés en France.