mercredi 23 juillet 2014

GAZA, UN REVELATEUR DES MYOPIES POLITIQUES ARMENIENNES


GAZA, UN REVELATEUR DES MYOPIES POLITIQUES ARMENIENNES 

(article initialement publié dans Nouvelle d'Arménie Magazine de janvier 2009)


Le plan de destruction psychologique et économique des populations palestiniennes de Gaza a atteint un nouveau palier ces dernières semaines : une utilisation de moyens militaires disproportionnés contre un camp de réfugiés, véritable prison à ciel ouvert, affamés et ruinés économiquement après deux années de blocus total. Au-delà des prétextes avancés par Israël et subtilement relayés par les média occidentaux, qui mettent dos à dos bourreau et victime, Israël poursuit la mise en oeuvre d’une stratégie programmée de longue date.[1]

Le silence de la République d’Arménie et de la Diaspora arménienne sur les événements qui se sont produits à Gaza est assourdissant. Il est insupportable de la part d’une Nation qui a subi des massacres et humiliations tout au long de son Histoire et qui mène depuis plus de 40 ans une bataille politique et morale pour la reconnaissance du génocide arménien en mettant en avant la cause des droits de l’Homme. Ce silence est même dangereux au regard de la question pendante d’une solution pacifique et négociée au Haut Karabagh. Seule la voix de Monseigneur Aram Sarkissian [2], personnalité écoutée au Moyen Orient, s’est élevée. Il ne s’agit pas de prendre une posture pro ou anti-israélienne ou pro ou anti-palestinienne ou encore, à tort, pro ou anti-islamique : il s’agit de prendre des positions sur des principes et des droits. Il s’agit de dénoncer, comme l’ont fait des observateurs avertis, dont de nombreux

Juifs, que les crimes commis à Gaza peuvent pour le moins être qualifiés de crimes de guerre et plus probablement de crime contre l’Humanité. [3]

Nous observons au contraire une forme de résignation à la loi du plus fort et donc une neutralité négative. C’est notamment le cas en France ou les organisations représentatives communautaires sont silencieuses sur la violation du droit international, des crimes commis sur les populations civiles, du droit des Palestiniens à vivre en paix et libres sur leurs terres.

Aucun Etat ne peut et ne doit se mettre au dessus du droit international ou alors il quitte le concert des nations unies à ses risques et dépens.

Les dirigeants communautaires ont-ils quelque scrupule à froisser les alliances éphémères d’un projet de pénalisation de la négation du génocide arménien en France, ou bien craignent-
ils d’être taxés d’anti-sémitisme, ou encore ont-ils succombé à l’islamophobie ambiante ? La première circonstance ne se pose plus car le projet de loi semble enterré pour longtemps tant à droite qu’à gauche de l’échiquier politique français ; quant à la seconde c’est l’arme favorite de certains courants juifs, fort heureusement marginaux, qui essaient d’imposer dans l’inconscient populaire que toute critique de l’Etat d’Israël relève de l’anti-sémitisme. Les Arméniens doivent être solidaires des Juifs quand la Shoah est niée ou en cas d’attaques anti-
sémites, mais critiques d’Israël pour sa violation des droits des Palestiniens ou la négation du génocide arménien ; enfin, rappelons que l’expression religieuse de la résistance palestinienne qu’est le Hamas est le résultat du traitement israélien des Palestiniens, société historiquement laïque.

Ce silence et ces allégeances ne sont pas recevables et révèlent les faiblesses de l’Arménie et de la Diaspora tant sur la scène internationale que dans la satisfaction de leurs revendications propres. Ne pas s’exprimer sur des sujets de cette nature et qui ne font pas débat, à savoir l’usage disproportionné de la force militaire et des technologies meurtrières contre des populations civiles, l’obstruction faite à l’aide humanitaire d’arriver à Gaza, le refus d’Israël de se plier aux résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU, c’est affaiblir la force des principes mis en avant dans la résolution du problème du Haut Karabagh, mais aussi le niveau de considération par ses partenaires ou alliés. La force doit revenir au droit et non aux armes.


L’Arménie n’a pas les moyens de soutenir une autre stratégie. Les partenariats à sens unique et ces allégeances contreproductives accroissent la dépendance politique des Arméniens et les enferment dans leur statut de spectateurs. Les Arméniens perdent en effet le contrôle de leurs revendications de la pire manière : Israël, Etat officiellement négationniste du génocide arménien, pousse le cynisme à brader la mémoire de nos aïeux massacrés en menaçant la Turquie de reconnaître ce génocide en guise de rétorsion. C’est indigne et condamnable et nous n’avons point vu de réaction à ce chantage honteux.

La Turquie adopte une doctrine tournée vers le droit international et la moralité. Les déclarations officielles de ces dernières semaines lui donnent une stature morale, qui s’ajoute à sa puissante diplomatie. Le courage politique de Monsieur Erdogan, à opposer à la lâcheté européenne, servira les intérêts de la Turquie en Europe et au Moyen Orient mais aussi dans le différend turco arménien sur le génocide. Il donne une leçon à l’Union Européenne et sa politique du deux poids deux mesures en matière de respect des droits de l’Homme ; il renforce son prestige dans le monde arabe et musulman et ses relations avec l’Iran ; il établit un nouveau rapport de force avec Israël, dont il reste l’allié le plus sûr dans cette région et lui donne des assurances : il condamne les amalgames et dénonce toute dérive d’antisémitisme dans son pays; il appuie enfin, en dénonçant le crime contre l’Humanité commis à Gaza, la thèse que la Turquie n’a jamais commis de génocide dans son Histoire.

En parallèle, le gouvernement AKP déroule sa nouvelle stratégie sur la question arménienne : procès Ergenekon ; initiative au Sud Caucase et rapprochement avec l’Arménie ; pétition d’excuse suscitée ; publication autorisée des carnets secrets de Talaat Pacha.

On ne peut que saluer l’artiste et s’inquiéter a contrario des effets immédiats et durables sur les actions en reconnaissance du génocide arménien, à commencer par les Etats-Unis. La diplomatie n’est pas incompatible avec le courage politique. Il est urgent que l’Arménie et la Diaspora revoient leur copie : la Cause reste juste mais son traitement timoré et étriqué n’est plus à la hauteur de l’enjeu. 

Raffi Kalfayan [4]


1) Lire la tribune de Michel Tubiana, président d'honneur de la LDH, et de Patrick Baudouin, président d'honneur de la FIDH, intitulée "La violence n'est pas une fatalité" et publiée dans le Monde édition du 31/12/08
2) Catholicos de Cilicie et ancien Président du Conseil Mondial des Eglises.
3) Dont Stéphane Hessel, diplomate, ambassadeur, ancien résistant et déporté français, qui a notamment participé à la rédaction de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme de 1948.
4) Ancien secrétaire général de la FIDH (2001-2007) et auteur d’un rapport de mission d’enquête de la FIDH sur les prisonniers palestiniens en Israël http://www.fidh.org/spip.php?article151