L’ère après Homo sovieticus
Le mardi 17
avril dans l’après-midi, quand je me suis assis sur un banc près du ministère
des Affaires étrangères pour observer et écouter les manifestants qui
conspuaient le nouvellement élu Premier ministre, Serge Sargsyan, je
n’imaginais pas que celui-ci présenterait sa démission une semaine après.
Il y avait
milliers de personnes, en majorité des jeunes, dans la rue Vasguen Sargsyan,
bloquée dans les deux sens entre la place Shahoumian et le Hrabarag (pl. de la
République). J’entendais le slogan devenu un hashtag depuis quelques jours,
« Kayl ara, merjir Serjin » (Bouge ! Récuse Serge) ou
« Miatsek ! » (Rejoignez-nous)
Alors que
j’étais assis à peine depuis quelques minutes trois jeunes se sont rapprochés :
« Excusez-nous hopar (mot
traditionnel pour désigner oncle) on aura besoin de ce banc ». J’ai
compris qu’ils allaient l’utiliser pour bloquer la circulation. Je me suis
levé. « Excusez-nous encore pour le désagrément » m’ont-ils lancé
avant d’emporter le banc à l’angle de la rue Khorenatsi et de la rue Beyrouth.
Ce court
échange montrait le comportement de ces jeunes manifestants, très souvent des
étudiants ; poli, calme, pratiquant la désobéissance civile sans violence (Ça change de Tolbiac !).
C’est la
force de ce mouvement qui, contre tout attente, a obligé le Premier ministre à
jeter l’éponge au bout de 11 jours de manifestations incessantes à Yerevan mais
aussi à Gyumri, à Vanadzor et pas plus tard qu’hier, dimanche, dans la région
de Martuni, où je me suis trouvé bloqué par un barrage sur la route de retour
d’Artsakh vers la capitale.
Le bref face
à face, très tendu, entre Serge Sargsyan et Nikol Pachinian, le dimanche 22
avril dans la matinée, à l’hôtel Armenia, et la menace à peine dissimulée du Premier
ministre (« N’avez-vous pas retenu la leçon du 1er mars »
faisant allusion aux manifestations de 2008 lors de son élection comme
président, qui avait fait 10 morts et centaines de blessés) ne présageait pas
une issue aussi rapide à cette situation qui s’orientait vers une impasse tant
les demandes de Nikol Pachinian apparaissaient radicales, notamment la
démission du PM, en plus d’une absence totale de programme.
Le député
d’opposition a gagné son pari, l’homme le plus détesté du pays a quitté son
poste, le peuple est en liesse ce soir et fête la victoire dans une ambiance
fraternelle jamais vu depuis le « mouvement Karabagh » de 1988.
Reste à ne
pas gâcher cette énergie et surtout à ne pas décevoir le peuple. Espérons que les
Homo sovieticus laisseront la place à
une nouvelle génération, tout simplement à des patriotes arméniens ayant en
tête qu’une chose : la défense des intérêts de ce jeune pays…
Varoujan SIRAPIAN
Directeur de Europe&Orient
Erevan, le 23 avril
2018