François Pupponi, Vice-Président du Cercle d’Amitié France-Artsakh signe une tribune dans le Monde
A la veille du dîner du CCAF (organisation nationale représentant les Français d’origine arménienne), François Pupponi, Vice-Président de notre Cercle d’Amitié France-Artsakh signe une tribune dans le Monde où il dénonce le contraste entre les ventes d’armes alléguées de la France à l’Azerbaïdjan et les menaces judiciaires envers les Chartes d’Amitié. Une mise au point salutaire
Tribune. Le 5 février, le président de la République Emmanuel Macron devrait rehausser de sa présence le dîner annuel donné par le Conseil de coordination des organisations arméniennes de France (CCAF, organisation nationale représentant les Français d’origine arménienne). Il perpétue ainsi une tradition initiée par ses deux prédécesseurs et honore en cela, comme il le fait pour d’autres groupements, une communauté souvent considérée comme un modèle d’intégration républicaine.
Ces relations institutionnalisées pourraient laisser croire que les attentes de cette partie de nos concitoyens sont prises attentivement en considération par le gouvernement. Or ce n’est que très partiellement le cas. On se souvient en effet que si les Français d’origine arménienne ont milité pendant des années pour la reconnaissance du génocide subi en 1915 par leurs grands-parents – reconnaissance finalement obtenue à l’arraché par une loi déclarative (2001) –, ils n’ont pu parvenir à ce que soit pénalisé le négationnisme spécifique que répandent impunément les négationnistes en Europe.
Si le volet pénal manque, il faut donc se féliciter de ce que le volet éducatif soit désormais bien ancré avec les programmes scolaires de 3e et de 1re qui accordent une place significative au génocide des Arméniens en tant qu’exemple achevé de violence de masse. Et il faut aussi se féliciter de la mission Génocides, dont les conclusions publiées en décembre 2018 devraient conduire à des politiques de soutien accrues.
Mais ce qui pose aujourd’hui question est l’attitude de la France vis-à-vis du Haut-Karabakh, ou Artsakh, cette terre arménienne qui s’est érigée en République à l’issue d’une guerre d’indépendance particulièrement meurtrière avec l’Azerbaïdjan. Vingt-cinq ans après la fin du conflit, la République autodéterminée d’Artsakh n’est toujours pas reconnue par la communauté internationale et son sort est suspendu à des négociations entre puissances belligérantes – l’Arménie, l’Azerbaïdjan et – selon les termes de l’accord de cessez-le-feu – les autorités d’Artsakh elles-mêmes.
Intimidations de l’Azerbaïdjan
La France a une responsabilité particulière dans cette affaire : sous mandat de l’OSCE, elle copréside un « Groupe de Minsk » où – avec la Russie et les Etats-Unis – elle est censée assister les parties en conflit à trouver les conditions d’une paix juste et durable. Or depuis plusieurs années, ces médiateurs ne jouent pas leur rôle.
Cédant aux intimidations du régime autoritaire d’Azerbaïdjan, la France ne dialogue tout simplement pas avec les représentants de l’Artsakh, alléguant que ce serait « prendre parti ». Notre diplomatie prétend ainsi pouvoir assister à la résolution d’un conflit en ignorant l’un des principaux belligérants et – au demeurant – celui qui a vaincu sur le terrain et sans lequel rien ne bougera.
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C’est évidemment inepte mais – comme si cela ne suffisait pas – voilà que notre gouvernement s’en prend désormais aux maires français qui entretiennent des liens personnels avec des élus locaux de la République d’Artsakh. Plusieurs élus locaux français – reconnaissant les liens noués avec des communes locales par des mouvements associatifs soucieux de désenclaver des populations locales souvent dénuées – se sont en effet engagés à travers des « chartes d’amitié » à soutenir et à développer de telles initiatives.
A Valence, à Bourg-lès-Valence, à Bourg-de-Péage, à Saint-Etienne, à Arnouville, il s’agit de démarches politiques d’élus – légitimes dans un Etat de droit – qui n’engagent en rien les collectivités locales dont ils ont la charge pas plus qu’elles n’empiètent sur les prérogatives régaliennes de notre diplomatie.
Recours devant des tribunaux
Ces faits n’ont pas empêché des préfets d’engager des recours devant des tribunaux administratifs pour casser ces chartes. Récemment interpellé par le sénateur Pierre Ouzoulias sur ce zèle préfectoral, Christophe Castaner, le ministre de l’intérieur, s’est réfugié derrière les jugements à venir et derrière une circulaire administrative, au demeurant vipérine en ce qu’elle cible très arbitrairement l’Artsakh ; un assaut de juridisme à géométrie variable, en témoigne la position largement plus bienveillante prise par notre pays à l’égard d’entité étatique comme la Palestine ou comme Taïwan ne jouissant pas plus que la République d’Artsakh de la reconnaissance internationale.
Mais qu’on se rassure, pour être arbitraire, tout cela n’est pas irrationnel, bien au contraire. Depuis quelques années, notre pays a donné un nouveau tournant à ses relations étrangères en privilégiant la diplomatie d’affaires. Si l’on doit se féliciter de cet esprit de conquête retrouvé dans un marché mondialisé sans cesse plus concurrentiel, on peut déplorer l’absence de discernement qui l’accompagne souvent. Vendre à l’export c’est bien ; vendre à des dictatures, c’est plus discutable et leur vendre des armes, c’est franchement condamnable.
Or l’Azerbaïdjan ne cesse de faire miroiter des contrats pour lesquels certaines strates de notre diplomatie semblent prêtes tant à fermer les yeux sur la répression aveugle qui s’abat sur les habitants de ce pays qu’à faire entorse à l’impartialité à laquelle est tenue la France en tant que coprésidente du groupe de Minsk.
Via Arianespace, notre pays a déjà vendu à l’Azerbaïdjan des capacités d’imagerie satellitaire à finalité potentiellement militaire. Naval Group serait aussi en pourparlers avec Bakou pour la vente de frégates de combat Gowind et voilà que la presse azerbaïdjanaise avance la possible vente par la France de missiles surface-air Mica et de missiles Aster de nature à déstabiliser à nouveau toute la région.
Violation de l’embargo de l’OSCE sur les ventes d’armes
Ces allégations ne semblent pas avoir été démenties et si les faits étaient avérés, ils constitueraient pour le coup une claire violation de l’embargo de l’OSCE sur les ventes d’armes à l’Azerbaïdjan ainsi que de la position commune de l’Union européenne de décembre 2008 régissant le contrôle des exportations de technologie et d’équipements militaires. De telles ventes – et même de simples entreprises de prospection commerciale – ne peuvent se faire sans aval gouvernemental dès lors qu’il s’agit d’équipements militaires.
Le 5 février, la magie du verbe dont notre président est coutumier ne suffira donc pas pour justifier « l’impartialité » dont se targue notre politique au Sud-Caucase ; pour expliquer qu’attaquer les fondements juridiques de chartes d’amitié ne constitue pas une démarche hostile « et en même temps » que vendre des armes à l’Azerbaïdjan constitue une démarche amicale.
En vérité, on ne construit pas la paix sur l’injustice institutionnalisée, sur l’iniquité fardée aux couleurs du droit, sur la corruption de valeurs sans lesquelles notre politique extérieure perd sa légitimité et ruine son efficacité. Qui peut sérieusement prétendre que l’amitié nouée avec Stepanakert [la « capitale » karabarkhtsie] par quelques maires de communes souvent modestes menacerait le processus de négociations en cours et qu’a contrario vendre la mort à Bakou stabiliserait la région ?
Cessons de brader ainsi la crédibilité et l’influence de la France au Caucase pour quelques millions d’euros ; cessons d’anéantir la confiance dont jouit notre pays non seulement auprès des Arméniens qui aujourd’hui édifient leur démocratie mais aussi auprès des Azerbaïdjanais qui la bâtiront demain. Les Caucasiens méritent mieux que ça ; la France également.
François Pupponi
(Député (PS) du Val-d’Oise,
vice-président du cercler d’amitié France-Artsakh)
(Député (PS) du Val-d’Oise,
vice-président du cercler d’amitié France-Artsakh)