La déferlante djihadiste…
entretien
avec l’auteur des Égarés
vendredi 26 décembre 2014
Le djihadisme wahhabite vint
de se manifester une fois de plus de façon spectaculaire en Australie et au
Penjab, à Peshawar, mais également à Brooklyn et à un moindre degré en France,
à Joué-lès-Tours et à Dijon, montrant à quel point il constitue une menace globale,
ceci pour les musulmans en priorité. Jean-Michel Vernochet avec Les Égarés, a produit une analyse
approfondie d’une caricature d’islam parce que théologiquement dévoyé. Un livre
que tous ceux qui se soucient de comprendre les tragédies du Levant, du Caucase,
d’Asie centrale et d’ailleurs, devraient avoir lu. Car le wahhabisme, doctrine
qui prône l’obligation schismatique de la conversion par la violence, tend à
s’imposer non seulement dans la Maison de l’Islam, mais aussi partout ailleurs
comme étant la nouvelle orthodoxie. Le drame inouï qui vient de frapper une
école au Pakistan apporte une nouvelle preuve de la diffusion de cette
idéologie dévastatrice à l’échelle planétaire. Un phénomène dont il est
indispensable de démêler les racines si l’on veut le contrer et le combattre
partout où le danger grandit, à la périphérie des grandes cités européennes et
dans les régions que menace le chaos de la guerre… en Orient, Proche ou
lointain, au Sahel et en Afrique de l’Ouest, ou encore au Xinjiang chinois.
Q- Le wahhabisme se diffuse aujourd’hui
largement sein de l’islam sunnite en Europe. Pourtant, selon vous, il n’est ni
sunnite, ni même musulman au sens traditionnel de ce terme. Expliquez-nous ce
paradoxe.
Jean-Michel Vernochet.
Si l’on se donne la peine d’aller
consulter les innombrables docteurs de l’islam dont les travaux sont
accessibles sur la Toile, on s’aperçoit que le wahhabisme, l’idéologie des
égorgeurs du Daech, constitue une véritable rupture épistémologique par rapport
à la tradition islamique classique, mais aussi par rapport à ce qu’il convient
de nommer l’islam populaire. Ayant évoqué personnellement, de vive voix, cette
question avec l’érudit militant Sheikh Imran Hossein, celui-ci s’est montré en
plein accord avec cette définition de la doctrine wahhabite. Nous sommes
convenus qu’il s’agit bien d’une hérésie schismatique que les savants
musulmans, mais aussi les intellectuels laïques arabes, désignent sous le terme
de dajjâl, dont la traduction la plus exacte serait l’antéchrist 1 !En
donnant à connaître dans mon ouvrage les analyses d’oulémas dont la science
islamique est avérée, mon intention a été de fournir des éléments
incontestables pour éclairer la nature fondamentalement divergente du
wahhabisme par rapport à l’islam traditionnel. Un angle de vue qui échappe
entièrement aux Occidentaux, lesquels ne connaissent à peu près rien en matière
d’islam à part le résumé très sommaire qu’en donnent certains théologiens
chrétiens hélas dogmatiques, mais qui eux-mêmes, le plus souvent, croient tout savoir
à partir de ce qu’en dit la grande presse écrite ou audiovisuelle… presse
dirigée par des gens dont l’intérêt premier est de nous aveugler autant que
possible, ceci pour mieux nous conduire, volens
nolens, vers la fournaise de possibles guerres civiles. Le préjugé le plus
répandu étant que l’islam est un bloc monolithique. Bien que l’islam soit à
l’évidence multiple, à commencer dans ses diverses interprétations
jurisprudentielles de la loi coranique. Soulignons que cette navrante ignorance
de ce qu’est l’islam réel n’est pas l’apanage des seuls non-musulmans. Dans
l’Union européenne la plupart des jeunes gens issus de l’immigration n’ont de
leur religion qu’une connaissance extrêmement sommaire. Dès lors il est facile
de les influencer en leur prêchant un islam soi-disant originel, pur et
infalsifié… à l’image des lois de la concurrence libérale qui doit tendre par
tous les moyens, y compris coercitifs, à devenir « pure et parfaite »
dans le paradis terrestre de l’hypercapitalisme. On voit ici le danger qu’il
peut y avoir à confondre tous les visages de l’islam et notamment à le réduire
à sa caricature takfiriste. Si l’islam se limitait aux différentes expressions
du wahhabisme, et bien la guerre totale entre civilisations serait proche. Nous
parlons d’une guerre opposant un milliard d’Occidentaux de culture chrétienne à
un milliard et demi de musulmans. La folie et l’absurdité d’une telle
perspective saute aux yeux. Pourtant ce choc des cultures, certains - à
l’instar de ces penseurs doublés d’agitateurs que sont en France les Jacques
Attali, les Bernard-Henri Lévy et tant d’autres, notamment dans les think
tanks néoconservateurs de Washington - le présentent comme probable sinon
comme inéluctable. Et l’on sait que l’influence de ces maîtres penseurs peut
aller, comme dans le cas de la Libye, jusqu’au bain de sang et au chaos
durable. Pour répondre plus précisément à la question, nous retiendrons que le
wahhabisme est un littéralisme exacerbé. De ce seul point de vue il est
exorbitant de la foi islamique telle que révélée dans le Coran. Pour illustrer
ce propos rappelons que la prédication du juriste Abdul Wahhab [Abdelwahhab
1703-1792] se développe en prenant chaque mot, chaque phrase de la Récitation
au strict pied de la lettre. C’est-à-dire dans son sens littéral absolu au
point qu’il en arrive à faire dire au Coran des énormités phénoménales. Ainsi
Dieu serait concrètement assis sur un trône et aurait une jambe en enfer 2. Chaque
musulman voit bien que doter Allah d’un corps matériel a quelque chose de
particulièrement incongru… nul n’ignorant que ce type de représentation est
purement métaphorique. Il s’agit d’une image et non d’une description
anthropomorphique de Dieu.
Les « savants » wahhabites
Mais cela ne serait rien si ce
littéralisme, cette lecture primaire, primitive du Coran ne conduisait les
adeptes du wahhabisme, au prétexte d’un retour aux sources, autrement dit d’une
Salafiya, d’une imitation de la vie du Prophète, à la négation des principes
mêmes de l’islam… Ou à réduire le Coran à une lecture juridique restrictive à
l’extrême manipulée en fonction des besoins de conquête politique et de
consolidation d’un pouvoir temporel… celui de la famille régnante d’Arabie ou
des multiples avatars des Frères musulmans comme en Turquie avec le régime islamo kémaliste
d’Erdogan Ier ! Pire, les wahhabites en sont venus à inventer un VIe Pilier de la
foi islamique. À savoir une obligation cachée qui serait celle de la conversion
par la force des incroyants ou des mauvais croyants et apostats… ce qui
concerne en l’occurrence tous les chiites et les courants soufis ainsi que la
plus grande partie des musulmans sunnites dont les pratiques religieuses
seraient entachées de mécréance. Pour ce faire les wahhabites ont inventé de
toute pièce un Devoir de Guerre sainte. Une interprétation dévoyée du
djihad qui est avant tout – n’en déplaise aux malveillants de toutes obédiences
- un effort de perfection individuel. Au départ une guerre intérieure à
soi-même, guerre contre nos faiblesses, nos passions et la tentation du
Mal , laquelle nous habite ou nous guette en permanence. Ce faisant les
wahhabites, en imposant l’obligation du djihad, ont commis ce que docteurs
désignent sous le terme de bid’a, une innovation blâmable. L’innovation
étant fondamentalement interdite en islam, conformément au hadith :
« Le livre de Dieu délivre le discours le plus vrai. Le meilleur
enseignement est celui de Mahomet. Les inventions sont les pires des choses.
Toute invention est une innovation. Toute innovation est une aberration, et
toute aberration conduit à l’enfer » An Nassi, Sunan, 3/188. De la même
manière Hassan el-Banna, fondateur des Frères musulmans, fait de la guerre
sainte une obligation nécessaire et incontournable et ne pas y répondre ou fuir
le combat, serait à mettre au rang des péchés capitaux méritant la Géhenne, les
feux de l’Enfer. El-Banna fera diffuser à ce sujet une « lettre » à
l’attention de ses suiveurs où il procède précisément à une
« innovation » en accolant au nom du Prophète le titre de « Seigneur
des Moudjahidine ». El-Banna désigne en outre « le combat des
mécréants et la conquête » comme étant le vrai jihad par opposition à
« celui de l’âme » comme les musulmans le croient à tort et à
l’ordinaire… !
Q- Historiquement les Britanniques ont
instrumenté le wahhabisme pour lutter contre l’Empire ottoman tombé entre les
mains des dönmeh révolutionnaires affublés de l’étiquette « Jeunes
Turcs ». Aujourd’hui la Turquie que vous qualifiez d’islamo-kémaliste
soutient le califat wahhabite, en l’occurrence l’État islamique, tandis que
celui-ci vient de désigner la monarchie wahhabite saoudienne comme son deuxième
ennemi après le chiisme. Comment expliquer ces contradictions ?
Beaucoup de questions et peu faciles.
D’abord le but des Britanniques n’était pas au XIXe siècle de
s’emparer de l’Empire ottoman déjà plus ou moins moribond et en proie à la
montée d’irrépressibles forces. Ces forces qui allaient le renvoyer au néant
s’incarnaient principalement dans les Jeunes Turcs du Comité union et progrès.
C’est ce mouvement révolutionnaire se revendiquant de la Révolution française
et ses racines se situaient à Paris, Genève, Rome et Londres, qui allait être
l’acteur principal de la débâcle. De l’effondrement du pouvoir ottoman et de la
prise du pouvoir en 1913 par le triumvirat Jeunes Turcs, sortiront le génocide
arménien et la dictature kémaliste. Régime athée qui s’établit à l’ombre des
potences et n’aurait pas vu le jour sans l’actif soutien des Loges anglaises,
françaises et italiennes… et celui de Lénine et de la bureaucratie bolchévique
et. Un fait peu documenté, peu connu, mais authentique. Pour revenir à l’Empire
britannique, au cours du XIXe siècle, presque toute sa politique à
l’égard de la Sublime Porte (Constantinople) sera déterminée par un souci
exclusif : assurer la protection de la Route des Indes. Sécurité qui
implique la complète maîtrise géographique du Golfe arabo-persique. Revenons un
instant en arrière pour bien saisir le contexte, à la fois de l’écroulement de
l’Empire ottoman et du surgissement consécutif d’un royaume wahhabite du Hedjaz
et du Nejd… La guerre de Crimée de 1853 à 1856 voit l’Angleterre alliée à la
France, venir au secours des Osmanlis contre la Russie. La question qui se pose
à cette époque se présente sous la forme d’une alternative : démembrer
l’Empire (mais comment s’entendre sur son partage ?) où le maintenir en
coma dépassé afin de stabiliser la région, avec toujours en arrière plan la
lancinante question pour Londres de la sécurité des voies maritimes et
terrestres vers les Indes. Le sort de l’Homme malade est de fait en
suspens depuis le début du XIXe siècle. Un statu quo explicite s’étant
établi entre les puissances chrétiennes - Angleterre, Allemagne, Russie,
France, Grèce, Italie – qui gelait en quelque sorte les ambitions des uns et
des autres. Nul ne voulait hâter une chute, au demeurant inévitable, mais qui
eut compromis ou remis en question le précaire équilibre des forces dans la
région. C’est ce qui explique la clémence du traité d’Andrinople signé en
septembre 1829 à l’issue de la guerre russo-turque, le Tsar ayant estimé qu’un
Empire ottoman décadent, épuisé par la dette contractée auprès des charognards
de la finance internationale, était encore préférable au chaos. Une forme de
sagesse géopolitique qui n’a plus guère cours aujourd’hui…Ce long rappel était
nécessaire pour montrer à quel point dans ces affaires le pragmatisme l’emporte
sur toute autres considérations, à commencer d’ordre religieux. Plus tard, en
instrumentant pendant la Grande Guerre les tribus wahhabites dissidentes du
Nejd contre la Porte au moment où l’Empire est déjà virtuellement mort, Londres
ne vise plus qu’à détruire la puissance ottomane alliée du Reich allemand, et
rien d’autre. L’aspect religieux est ici subsidiaire, accessoire. La guerre
mondiale fait rage et le triumvirat Jeunes Turcs qui a pris le pouvoir à
Constantinople 3 en 1913, a en effet choisi d’associer son
destin à celui de l’Allemagne dont l’influence économique dans l’Empire est
immense… et il entend profiter du tumulte de la guerre pour conduire à grande
échelle une politique d’épuration ethnique à l’encontre de toutes les
communautés chrétiennes de l’empire. Avec, à n’en pas douter, des arrières
pensées messianiques et une haine eschatologique que bien peu osent encore
aujourd’hui évoquer. S’ouvre alors un abîme dans lequel la majorité de la
nation arménienne va, entre 1915 et 1916, se trouver engloutie. Une politique
génocidaire que poursuivra et complétera Kemal Pacha (Atatürk) bien au-delà de
la défaite des Jeunes Turcs et de la victoire alliée de 1918, en particulier en
1924 à l’occasion des transferts massifs de populations chrétiennes d’Anatolie
prévus par le Traité de Lausanne signé le 24 juillet 1923. Traité par lequel se
clos définitivement la Grande Guerre sur son front oriental. Notons que l’athée
fanatique, compagnon de route du Comité Union et Progrès, qu’est Kémal Pacha
n’aura été, en poursuivant l’ethnocide commencé 4 par ses
prédécesseurs, qu’un précurseur du nettoyage ethnoconfessionnel conduit
actuellement, mais à beaucoup plus petite échelle, par les djihadistes
salafo-wahhabites au Nord de l’Irak contre les Catholiques assyro-chaldéens et
les Yézidis…Mais revenons aux années charnières de la Première guerre mondiale.
Pour les Alliés l’heure est au dépeçage d’un Empire qui a vécu et dont les
nouveaux maîtres dönmeh ont fait un mauvais choix stratégique, celui du Reich
allemand. Tandis que des rébellions armées éclatent de toutes parts, en
Afghanistan, en Irak, en Syrie, en Palestine, en Égypte… Londres et Paris se
répartissent par anticipation en 1916 avec l’accord secret Sykes-Picot, les
dépouilles de l’Empire… ceci en se moquant des promesses d’indépendance faites
aux Arabes ayant combattu à leurs côtés. Les Anglais vont pour leur part, à
partir de 1916, utiliser le wahhabisme pour sa dynamique, sa force explosive,
en tant que fanatisme et idéologie de conquête, afin d’asseoir durablement et
solidement leur contrôle sur la Péninsule arabique. Quant à la situation actuelle,
sans doute faut-il n’y voir que des rivalités entre pouvoirs concurrents. Si
l’on regarde l’histoire du Proche-Orient, en particulier ce dernier
demi-siècle, nous assistons à une lutte perpétuelle pour tenter de parvenir au leadership
régional. Ce fut vrai pour Gamal Abdel Nasser, Hafez el-Assad, Mouammar
Kadhafi, Saddam Hussein, sans compter l’État hébreu dont le rôle dans la
destruction de ses voisins et ennemis potentiels, est une donnée de base.
Maintenant ce sont Téhéran, Ankara, Ryad qui sont en lice avec le même
objectif, indépendamment de leur identité confessionnelle. C’est par conséquent
en terme de concurrence que j’interprète les luttes souvent sanglantes qui
opposent entre elles les différentes factions salafo-wahhabites. Et parmi elles
les divers mouvements combattant en Syrie, au premier rang desquels l’État
islamique. De la même façon, la dimension sectaire des divergences entre
l’Arabie wahhabite, la Turquie islamiste, Daech, n’est en fin de compte
qu’accessoire au regard des ambitions hégémoniques au moins régionales qui
opposent les uns et les autres… d’autant que le fonds idéologique wahhabite est
partagé par tous, y compris les Frères musulmans même s’ils ne le revendiquent
pas ouvertement.
Q- La Confrérie des Frères musulmans a
pris la direction des organisations musulmanes en Europe - en France via
l’UOIF- mais elle vient d’échouer dans ses tentatives de prise du pouvoir à
l’occasion des Printemps arabe, en Syrie, en Égypte et en Tunisie. Que dire de
cette société secrète dont l’histoire est une longue suite de coup d’États
manqués ?
Une société qui ne paraît pas spécialement
secrète parce que l’étude historique fait apparaître des objectifs sans
fard : à savoir l’instauration d’un « islam politique »
rigoriste, ce que l’on nomme ordinairement l’islamisme… Je vais risquer une
analogie : la Fraternité est le faux nez, la vitrine politique du
wahhabisme. À ce titre on pourrait comparer le Mouvement des Frères musulmans
aux mencheviks, ces modérés rivaux des communistes ultra, les bolchéviques qui
prennent le pouvoir en Russie en octobre 1917. Un an plus tard, en octobre
1918, une même révolution messianique interviendra dans l’Allemagne vaincue.
Mais cette fois ce sont les réformistes socio-démocrates qui l’emportent sur
les socialistes révolutionnaires en les éliminant physiquement, et fondent la
République de Weimar en août 1919… avec d’ailleurs le peu de succès que l’on
sait.
Q- Bolchévisme/wahhabisme, même messianisme même barbarie ?
Dans l’histoire cette sorte de binôme
idéologique, réformateurs et ultras, est récurrente. Ce serait à tort que l’on
penserait la comparaison entre bolchéviques et wahhabites tirée par les
cheveux : celui qui creuse un peu découvre une même inspiration messianiste
dans le communisme totalitaire des léninistes qui va immédiatement éradiquer
quelque deux millions de Chrétiens orthodoxes… et dans la communauté de
l’Ikhwan [la Fraternité] que fonde Ibn Séoud en 1912 pour partir à la conquête
du Hedjaz et du Nejd. L’Ikhwan est sorte de kibboutz collectiviste, un kolkhoze
à vocation militaire, une phalange guerrière vouée à la purification de l’islam
et à l’invasion territoriale. Séoud détruira ce Golem en 1929 avec l’aide des
forces armées britanniques… lorsque l’Ikhwan commencera à menacer son propre
pouvoir. Bref pourquoi les Frères musulmans ont-ils rencontrés si vite
l’échec ? Parce que tous ces mouvements sectaires, à l’instar de nos
actuels démagogues pseudo socialistes, sont des idéologues tournés
essentiellement vers la prise du pouvoir… et non la gestion réaliste des
affaires publiques qu’ils se montrent rapidement incapables d’exercer. Car ces
mouvements sont en fait résolument étrangers au monde réel, à ses contraintes
implacables, concrètes, immédiates. Ce n’est pas leur préoccupation. À l’heure
actuelle, le Parti socialiste en France supporte à son tour les conséquences de
cette règle intransgressible : s’avèrent inopérantes les promesses, la
démagogie, la logorrhée, la volonté abstraite de changer la nature de l’homme
et des choses, toutes choses qui se fracassent à un moment ou à un autre sur le
mur de la réalité. Ce pourquoi les islamistes qui veulent mettre l’islam au
service de leurs ambitions personnelles, ou de celles de leur mouvement, sont
toujours voués à l’échec sauf à se maintenir par la force et à trouver comme
M. Erdogan un compromis entre islamisme autoritaire et nationalisme. Les
populations égyptiennes et tunisiennes, plus démunies, moins patientes, déjà
échaudées, et peut-être moins apathiques que les Français en particulier et les
Européens en général, n’ont pas mis longtemps à comprendre et à se débarrasser
de leurs parasites. Notez qu’au cours du XXe siècle, à chaque fois, la faillite des
idéocrates a été suivie par l’instauration de régimes forts qui en prenaient le
contre-pied… Si vous regardez la vague de socialisme maçonnique qui déferle sur
l’Europe après la Première guerre mondiale, celle-ci aboutit logiquement à des
dictatures : en Hongrie où l’amiral Miklós Horthy succède au sanguinaire
social-démocrate Béla Kun, futur commissaire politique de Lénine ; idem en
Italie avec Mussolini ; en Espagne avec Primo de Rivera et en Allemagne
avec qui vous savez. Des exemples indiscutables… De la même façon en Égypte, le
régime militaire du général Abdel Fattah al-Sissi a succédé aux Frères
musulmans. Il n’est pas assuré que la Tunisie échappe à cette règle et qu’elle
ne connaîtra pas à terme un successeur à Ben Ali. Pour ce qui est de la Syrie
la tentative de subversion par les Frères a rapidement montré son vrai visage
et elle est certainement en train d’échouer comme cela était prévisible. Quant
à la France nul ne sait ce qu’il adviendra après la présente liquidation
sociétale et économique de la France par la clique au pouvoir. De plus en plus
nombreux sont ceux qui désormais parlent à haute voix d’insurrection populaire.
Q- Vous dites que les Frères musulmans et le
wahhabisme ont beaucoup en commun, pouvez-vous nous en dire plus ?
Sans être « une société secrète
wahhabite », les Frères musulmans n’en sont pas moins l’un des
prolongements de la secte mère dont le siège est à Riyad. Un travail
minutieux de comparaison entre les doctrines et les programmes mériterait
d’être conduit. Mais insistons sur un point déjà évoqué : le
wahhabisme de même que la jamiat al-Ikhwan al- muslimin sont
essentiellement, avant tout des outils idéologiques c’est-à-dire non religieux
sous leurs oripeaux de puritanisme. Ce sont des moyens idéocratiques de
conquête et rien d’autre. D’évidence le wahhabisme n’est pas la simple et pure
expression d’une foi vivante, mais sa caricature outrancière. Les musulmans ne
s’y trompent qui le dénoncent comme tel. Ce sont les docteurs de l’Iilam qui le
disent à tout bout de champ, pas votre serviteur. C’est-à-dire tous ceux dont
l’Occident paresseux n’entend pas la voix parce qu’il est plus facile de faire
de la sociologie de bazar dans les banlieues des métropoles européennes à forte
densité d’immigration… que de se pencher avec quelque humilité sur la dimension
théologique du phénomène djihadiste et de son soutien proactif par cet autre
puritanisme qu’est le calvinisme anglo-américain lorsqu’il se fait l’instrument
d’un impérialisme sans âme ni entrailles.Fait aujourd’hui oublié, l’Association
des Frères musulmans que crée Hassan el-Banna en 1928 accueille aussitôt après
sa naissance des membres de l’Ikhwan qui fuient le Nejd pour échapper aux
représailles d’Abdelaziz ibn Séoud. Ce sont ces hommes qui formeront le noyau
dur de la nouvelle Fraternité égyptienne. Lorsqu’en 1954 la Confrérie est
dissoute par Nasser, en sens inverse, les cadres de la Confrérie partiront
naturellement se ressourcer à Riyad. In fine, de la Confrérie naîtra dans les
années soixante-dix le Jihad Islamique égyptien, devancier de Daech, qui
visait au rétablissement du califat en Égypte. C’est ce que vient d’accomplir
l’État islamique avec la bénédiction des « alliés frères ennemis »
d’Ankara, Londres, Paris, Ryad, Doha, Washington, Amman et Tel-Aviv.
Q- Les Britanniques ont soutenu le développement
du wahhabisme, puis les États-Unis. Aujourd’hui les Frères sont même
représentés au sein du Conseil national de sécurité à Washington. Peut-on dire
de la Confrérie ce que vous dénoncez pour le wahhabisme, à savoir que ces
formations seraient au sein du monde musulman les voies et moyens de détruire
l’islam de l’intérieur ?
L’expansion continue du wahhabisme au
cours du siècle passé est étroitement liée à celle du modèle financier,
économique et sociétal anglo-américain. Le sort de la Péninsule arabique a été
indissolublement lié depuis 1945 et jusqu’à aujourd’hui à l’Amérique-Monde…
laquelle forme une sorte d’hydre à têtes multiples dont les principales sont
Manhattan, Chicago (la bourse mondiale des matières premières), Washington avec
la Réserve fédérale, la Cité Londres, Bruxelles pour l’Otan, Francfort, siège
de la Banque centrale européenne et Bâle qui abrite une super société anonyme,
au sens juridique, la Banque des banques centrales, en un mot la Banque des
règlements internationaux ! À ce titre il serait réducteur de ne voir dans
l’idéologie wahhabite qu’un instrument d’influence voire de domination
régionale. Le monde musulman représente un milliard et demi d’individus.
Prendre leur contrôle est enjeu de taille. Dans cette perspective sans doute
faut-il voir dans l’idéologie wahhabite une tentative sans équivoque de
subversion de l’islam. En d’autres termes, la version islamique, à savoir
« adaptée à l’islam », de la nouvelle religion globale qui tend à
s’imposer à toutes les nations et tous les peuples, qu’ils soient chrétiens ou
musulmans. Religion sociétale, religion de mutation civilisationnelle qui
précède et accompagne la progression d’un mondialisme cannibale. Une religion
destinée à se substituer à toutes les autres et que l’on peut désigner à bon
escient comme le « monothéisme du marché ».Il est patent que
le wahhabisme cohabite parfaitement avec l’anarcho-capitalisme. Cela peut
sembler étonnant mais c’est indéniable. Ce puritanisme barbare est destiné, ou
mieux prédestiné, à remplacer l’islam traditionnel avec son attachement désuet
pour des valeurs morales traditionnelles par essence compassionnelles. Aux
purs tout étant pur, le wahhabisme rend licite le meurtre d’autrui dès lors
que celui-ci ne se soumet pas intégralement à une même et inexorable loi
chariatique… tout comme la démocratie universelle et humanitarienne que les
États-Unis s’emploient à imposer par la force des armes aux quatre coins de la
planète. La Grande Amérique voit sa Destinée manifeste s’incarner dans
un droit sans limites à tuer tous ceux qui se montrent rétifs à entrer de plein
gré dans la matrice démocratique judéo-protestante made in America. Bref
si le wahhabisme est un instrument, il est celui d’une destruction intérieure
programmée de l’islam… tout comme le messianisme marxisme, puis son successeur
le freudo-marxisme libéral-libertaire, ont poursuivi et poursuivent une œuvre
de mort analogue dans nos société postchrétiennes.
Q- Il existe actuellement trois États dont le
wahhabisme est la religion officielle : l’Arabie saoudite, le Qatar et
Sharjah, membre des Émirats arabes unis. Peut-être également bientôt la
Cyrénaïque. Pourtant ces États se livrent entre eux une guerre sans merci.
Comment l’expliquer et quels en sont les enjeux ?
À question complexe réponse élémentaire.
Autrefois les tribus lançaient les unes contre les autres des raids, des
razzias. Aujourd’hui ce ne sont plus de bandes de pillards mais des États. Nous
sommes passés dans une dimension supérieure. Cependant le principe reste le
même. Les États occidentaux partagent tous la même idolâtrie pour une
démocratie d’apparences, ça ne les empêchent pas de chercher à
s’entre-déchirer, ne serait que par le truchement d’une guerre économique
inexpiable. « Une guerre qui ne dit pas son nom » mais qui n’en
est pas moins impitoyable, qui ne connaît ni ami, ni allié… « Une
guerre à mort » avait dit feu Mitterrand 5. Des guerres au
final idéologiques et sociétales. Regardez du côté de la Russie et du Donbass,
une assez bonne illustration de ce propos. Tout s’éclaire si l’on comprend que
les différents États wahhabites et les diverses variantes des Frères musulmans
– parmi lesquelles le Parti pour la justice et le développent de Recep Tayyip
Erdogan - ne poursuivent justement pas l’accomplissement de la parole de Dieu
sur terre, ni aucun but transcendant, mais bien plutôt des objectifs de pouvoir
purement matériels. Leurs ambitions sont celles de la puissance. Partant leurs
intérêts, leurs stratégies et leurs alliances ne sont pas exactement les mêmes.
Dans les faits ils sont le plus souvent en désaccord et presque toujours
rivaux. Cela peut sembler trivial – au sens français du terme – mais si l’on
veut comprendre la marche du monde, regardons une production hollywoodienne
relative à une guerre de gangs mafieux, tout y est dit ! L’on s’y étripe à
qui mieux-mieux pour un territoire, un marché, une position dominante, une
affaire de préséance. S’il existe des différences entre ces guerres de clans et
celles de la diplomatie armée, du hard et du soft power, elles ne
sont que d’échelle, pas de nature.
Q- Al-Qaïda se définit comme wahhabite,
pourtant l’un de ses principaux fondateurs et actuel chef, Ayman al-Zawahiri
est un ancien Frère musulman. En réalité, si tous les leaders du terrorisme
international se déclarent wahhabites, la plupart d’entre eux sont d’anciens
Frères musulmans. Selon vous, l’idéologie actuelle du jihad est-elle wahhabite
ou vient-elle de la société secrète des Frères musulmans ?
Je ne crois pas que la question soit, à ce
stade, totalement pertinente : avant ou après l’œuf…dans la mesure où il
s’agit des deux visages d’une même idéologie ! L’une et l’autre se sont
développées et affirmées avec le soutien de l’empire britannique : soutien
armé pour le Troisième royaume wahhabite du Nejd et du Hedjaz, et financier en
Égypte pour la Confrérie. Ainsi wahhabisme et Fraternité sont déjà
consubstantiels l’un à l’autre ayant en commun les mêmes parrainages à Londres
et Washington, ultimement à Ryad. Pour ce qui est du djihad 6 proprement dit
nous avons vu qu’en Égypte la nouvelle Ikhwan a engendré une organisation de
lutte armée, le Djihad islamique, en application de la doctrine wahhabite
postulant l’existence d’un Sixième Pilier, celui de la guerre sainte, inconnu
de l’islam classique. Soit l’obligation de convertir par la contrainte, par le
fer et le feu si nécessaire. En cela le wahhabisme fait de la violence une
dimension structurelle qui ne peut que susciter en Occident le rejet le plus
catégorique. Nous sommes là effectivement dans une logique de choc frontal
entre cultures et civilisations. Cela ouvre de sombres perspectives dans et
pour nos sociétés, surtout si les Musulmans qui y sont intégrés se trouvaient
un jour prochain mis en demeure, en raison de la diffusion extensive d’une fausse
semblance de l’islam, de choisir leur camp. Les terribles années qu’a connues
l’Algérie au cours de la décennie quatre-vingt-dix ne seraient certainement
rien à côté de ce que les communautés musulmanes européennes seraient appelées
à vivre… parce que comme nous pouvons le constater partout, ce sont les
musulmans qui sont les premières cibles et les premières victimes du
wahhabisme.
Notes :
(1) « La tradition islamique reconnaît
la venue, vers la fin des temps, d’un homme qui trompera le monde, appelé
Al-Masîh Ad-Dajjâl, le Messie Imposteur, ou si l’on veut l’Antéchrist… Son
idéologie sera purement matérialiste, bien que présentée de façon messianique,
et qu’il ne se servira des valeurs humanistes que dans une perspective
terrestre, en niant le retour à Dieu et le Jugement dernier. Sa civilisation
sera borgne, en ce sens qu’elle prétendra s’organiser indépendamment des
commandements divins. L’œil du grand architecte des Lumières et d’un nouvel
ordre mondial apparaît ainsi au sommet de la Déclaration des droits de l’homme
de 1789, tout comme sur le dollar américain. Est-ce vraiment un hasard ?
Le philosophe Nietzsche, avant de sombrer définitivement dans la folie, avait
évoqué dans un ouvrage intitulé « L’Antéchrist » la nécessité
d’inverser les valeurs pour accéder à une civilisation définitivement
débarrassée des entraves de la spiritualité chrétienne, qu’il jugeait
maladive » [haniramadan.blog26août09].
(2) « Le premier point qui fonde le dogme wahhabite, c’est le
Tachbih, c’est-à-dire l’assimilation d’Allah à Ses créatures
(l’anthropomorphisme). Les wahhabites posent comme règle fondamentale qu’il
faut prendre au premier sens, dans les textes sacrés, toutes les expressions
équivoques au sujet du Créateur, alors que ces expressions ont pour but
d’exprimer la majesté, la puissance, la miséricorde, l’agrément ou d’autres
attributs dignes de la divinité. Ainsi, ils en sont venus à dire que le
Créateur serait un corps assis sur un Trône, ayant des mains du côté droit,
qu’Il se déplacerait, s’étonnerait, rirait, qu’Il aurait un pied qu’Il mettrait
dans l’enfer ». Cf. http://www.sunna.info « Qui sont les wahhabites ? ».
(3) Constantinople née le 11 mai 330 perd son statut de capitale en 1923
et en 1930 prend officiellement le nom d’Istamboul (Istanbul) dans le cadre de
la politique de turquisation mise en œuvre sous la férule d’Atatürk.
(4) 1914 est la DATE charnière qui marque il y a cent ans
le commencement de la Grande Guerre et le début du génocide final des Chrétiens
de l’Empire ottoman par les Jeunes Turcs dönmeh qui ont pris le pouvoir à
Constantinople en 1913. En ce qui concerne les Assyriens [Chrétiens syriaques],
le nombre des victimes varie selon les auteurs. Certains avancent, outre le
million et demi d’Arméniens engloutis dans d’infernales marches de la mort dans
les steppes arides de Lycaonie et de Syrie, le chiffre de
270 000 morts. Des recherches plus récentes ont révisé cette
estimation à la hausse en évoquant de 500 000 à 750 000 morts entre
1914 et 1920, soit environ 70 % de la population assyrienne de l’époque.
Rappelons que la Grande Guerre ne prendra fin en Orient qu’en juillet 1923 avec
le Traité de Lausanne conséquence de la défaite grecque du 13 septembre1921.
Kemal Pacha [Atatürk], poursuivra cependant jusqu’à sa mort [10 nov.1938] sa
politique de purification ethno-confessionnelle. À telle enseigne qu’en 1937,
il scellera son règne de sang par un ultime massacre dont les Kurdes alevis de
Dersim feront les frais… dix mille morts au bas mot. Reste que pour nos contemporains
Kémal demeura encore longtemps le prototype du héros inoxydable. Voir G.W.
Rendel, « Mémoire Du Bureau des Affaires Étrangères sur les Massacres
et les Persécutions commises par les Turcs sur les Minorités depuis l’Armistice
» 20 mars 1922. Selon Manus I. Mildrasky in « The Killing Trap :
Genocide in the Twentieth Century » 2005, les estimations les plus
sérieuses fixent à 480 000 le nombre de Grecs d’Anatolie qui finirent
leurs jours à l’abattoir humain. Au demeurant l’État turc héritier de la dictature
kémaliste, ne cessera jamais de nier la planification de ces exterminations
massives et par suite la réalité du génocide des Chrétiens de l’empire ottoman…
Un Empire à l’agonie tombé aux mains de révolutionnaires aussi impitoyables que
ceux qui sévissaient alors en Russie. Des Révolutions sœurs par les liens
d’étroite consanguinité qui d’ailleurs les unissaient.
(5) « La France ne le sait pas, mais nous sommes en guerre avec
l’Amérique. Oui, une guerre permanente, une guerre vitale, une guerre économique,
une guerre sans mort apparemment. Oui, ils sont très durs les américains, ils
sont voraces, ils veulent un pouvoir sans partage sur le monde. C’est une
guerre inconnue, une guerre permanente, sans mort apparemment et pourtant une
guerre à mort » François Mitterrand in Georges-Marc Benamou « Le
dernier Mitterrand » 1997.
(6) Le takfirisme wahhabite a été prêché très tôt et ce serait une
erreur de le considérer comme un phénomène contemporain limité aux seules zones
où il sévit aujourd’hui. Certes la manne pétrolière lui a donné un essor inouï
mais il est déjà actif aux Indes dès le début du XIXe siècle où Sayyed Ahmed vers 1824 après un
pèlerinage à La Mecque, prêche le wahhabisme au Pendjab. Il entend mettre en
pratique « l’obligation absente » de la guerre sainte. En 1826
ayant rassemblé une armée à Peshawar, il appelle au djihad contre les
Sikhs et l’année suivante se proclame Commandeur des croyants, amir
al-muminn. un titre qui sera également celui de Mollah Omar avant la chute du
régime des Taliban à l’automne 2001. En 1830 Sayyed Ahmed prend Peshawar mais
périt en 1831 au cours de la bataille de Balakot. Il faut attendre 1870, après
un demi-siècle de troubles, pour que les oulémas chiites et sunnites d’Inde
condamnent les excès des Wahhabites. Mais leur influence perdure et, en 1927,
dans la province de Mewat est fondée la « Société pour la
prédication », la Taglibhi Jamaat, dont le rôle prosélyte est bien connu.
Le takfirisme inspirera pareillement les soulèvements Senoussi en Afrique, la
révolte des musulmans de Chine (1855-74)… Pour ce qui est d’Al-Qaïda, le
cas du Frère musulman Abdullah Azzam est particulièrement emblématique. Ce
Palestinien a été, avant de trouver la mort dans l’explosion de sa voiture en
1989, le chef spirituel des volontaires islamistes étrangers. Or Azzam avait
été membre des Frères musulmans et avait enseigné à l’Université de Riyad
en 1980, puis au Pakistan à l’Université islamique internationale d’Islamabad.
Cela avant de devenir à Peshawar le principal organisateur du recrutement et de
l’entraînement des djihadistes combattant dans l’Afghanistan en lutte contre
les forces soviétiques.