samedi 6 février 2021

Une bonne analyse, mais…

Une bonne analyse sur l'Arménie, mais…


Par Varoujan Sirapian

Directeur de la revue « Europe et Orient »

7 février 2021

 

 

J’ai écouté avec attention l’interview d’un homme politique diffusée il y a quelques jours sur une chaine de télévision arménienne.

L’homme était interrogé par trois journalistes au sujet de la deuxième guerre d’Artsakh, ces conséquences et la situation politique du pays après le cessez-le-feu signé le 9 novembre 2020.

Il parlait avec aisance, sans élever la voix et sans détour, répondant une par une aux questions posées avec des arguments rationnels. Son analyse était assez cohérente pour arriver in fine à une conclusion : le Premier ministre actuel et son gouvernement ne peuvent pas rester en place et doivent démissionner, ouvrant la voie à de nouvelles élections.

Il a développé sa pensée sur l’état catastrophique, selon lui, de l’Arménie en état de choc après une défaite cuisante avec des pertes humaines et territoriales dramatiques. Depuis l’indépendance de 1991, l’Arménie n’a jamais été aussi fragile et sous la menace d’une disparition.

Pour qu’un pays soit anéanti, ou tout au moins très affaibli, il faut quatre pratiques, a-t-il expliqué :

1.       Diviser (baragdel) la société comme l’ont fait ceux qui ont financé les bolchéviques lors de la Première Guerre mondiale, pour organiser la révolution (sic !) (Rouges / Blancs),

2.       Affaiblir l’armée et les institutions garantissant la sécurité du pays,

3.       Créer une défiance vis-à-vis de la fonction publique,

4.       Ruiner les liens avec des pays alliés.

« Maintenant », dit-il l’homme politique, « posons-nous la question à l’inverse : lequel de ces quatre points n’a pas été appliqué par Pachinian et son équipe ? 

Actuellement on divise les Arméniens entre les « noirs » (opposants) et les « blancs » (pro gouvernement)

L’armée est affaiblie et les Services de Sécurité Nationale (SSN) au lieu de courir derrière la cinquième colonne qui mine notre pays de l’intérieur, pratique une chasse aux sorcières (sadananer) parmi les « anciens » (naghkinner).

Depuis plus de deux ans ils n’ont pas cessé d’avilir les services publics, les institutions, notamment judiciaire, en appelant même la population à bloquer les portes d’entrée des tribunaux.

Et enfin ils ont détérioré nos relations avec nos alliés traditionnels, notamment la Russie et l’Iran. Pendant 27 ans nous étions un allié de la Russie, aujourd’hui nous sommes réduits à un protectorat russe !»

Comment un chef d’État qui a conduit notre pays dans une telle impasse peut-il rester en place ? Qu’est-ce qu’il lui reste comme crédibilité pour négocier quoi qu’il en soit ? »

Tous ceci pourrait paraître acceptables comme arguments. Le seul problème c’était que l’homme interrogé était Robert Kotcharian, deuxième président de la République d’Arménie, considéré le plus corrompu et le plus détesté par la grande majorité des Arméniens.

J’ai écouté l’interview de 1h27 jusqu’au bout pour voir si, à un moment donné, Robert Kotcharian allait parler de, sinon de sa culpabilité, au moins de sa responsabilité dans la gestion oligarchique du pays pendant dix ans (voie suivie par son successeur encore pendant dix ans) situation qui a préparé le terrain à l’arrivée d’un Nikol Pachinian. Rien, pas un mot. Et il ne fallait pas compter sur les trois journalistes de la TV Canal-5 pour poser cette question gênante.

En plus de leur entêtement à n’écouter personne, Nikol Pachinian et son équipe commettent une faute en continuant à rester en place et ce sans aucune expression de regret pour admettre leur défaillance lors de cette guerre et plus généralement leur manquement à transformer les espoirs (et les promesses) de 2018 pour rendre le pays plus vivable. En agissant ainsi bientôt ils vont ressusciter un homme politiquement mort, le rendant presqu’une alternative acceptable pour sortir le pays de la crise. Le comble !

Avec la « révolution » d’avril 2018 les Arméniens se sont endormis sur des rêves et ils se réveillent aujourd’hui sur un paillasson. Espérons que ce réveil douloureux va susciter un élan pour trouver une solution. Cela ne se fera pas avec un claquement de doigts.

L’Arménie seule ne peut pas s’en sortir de ce bourbier. L’implication effective de la diaspora dans la gouvernance politique et économique du pays devient indispensable. Reste à trouver les méthodes acceptables par tous, en bonne intelligence.