Une bonne analyse sur l'Arménie, mais…
Par Varoujan Sirapian
Directeur de la revue « Europe
et Orient »
7 février 2021
J’ai écouté avec attention l’interview
d’un homme politique diffusée il y a quelques jours sur une chaine de
télévision arménienne.
L’homme était interrogé par trois
journalistes au sujet de la deuxième guerre d’Artsakh, ces conséquences et la situation
politique du pays après le cessez-le-feu signé le 9 novembre 2020.
Il parlait avec aisance, sans
élever la voix et sans détour, répondant une par une aux questions posées avec
des arguments rationnels. Son analyse était assez cohérente pour arriver in
fine à une conclusion : le Premier ministre actuel et son gouvernement ne
peuvent pas rester en place et doivent démissionner, ouvrant la voie à de
nouvelles élections.
Il a développé sa pensée sur
l’état catastrophique, selon lui, de l’Arménie en état de choc après une
défaite cuisante avec des pertes humaines et territoriales dramatiques. Depuis
l’indépendance de 1991, l’Arménie n’a jamais été aussi fragile et sous la
menace d’une disparition.
Pour qu’un pays soit anéanti, ou
tout au moins très affaibli, il faut quatre pratiques, a-t-il expliqué :
1.
Diviser (baragdel) la société comme l’ont
fait ceux qui ont financé les bolchéviques lors de la Première Guerre
mondiale, pour organiser la révolution (sic !) (Rouges / Blancs),
2.
Affaiblir l’armée et les institutions garantissant
la sécurité du pays,
3.
Créer une défiance vis-à-vis de la fonction
publique,
4.
Ruiner les liens avec des pays alliés.
« Maintenant »,
dit-il l’homme politique, « posons-nous la question à l’inverse :
lequel de ces quatre points n’a pas été appliqué par Pachinian et son équipe ?
Actuellement
on divise les Arméniens entre les « noirs » (opposants) et les
« blancs » (pro gouvernement)
L’armée est
affaiblie et les Services de Sécurité Nationale (SSN) au lieu de courir
derrière la cinquième colonne qui mine notre pays de l’intérieur, pratique une
chasse aux sorcières (sadananer) parmi les « anciens » (naghkinner).
Depuis plus
de deux ans ils n’ont pas cessé d’avilir les services publics, les
institutions, notamment judiciaire, en appelant même la population à bloquer
les portes d’entrée des tribunaux.
Et enfin ils
ont détérioré nos relations avec nos alliés traditionnels, notamment la Russie
et l’Iran. Pendant 27 ans nous étions un allié de la Russie, aujourd’hui nous
sommes réduits à un protectorat russe !»
Comment un chef
d’État qui a conduit notre pays dans une telle impasse peut-il rester en
place ? Qu’est-ce qu’il lui reste comme crédibilité pour négocier quoi
qu’il en soit ? »
Tous ceci pourrait paraître
acceptables comme arguments. Le seul problème c’était que l’homme interrogé
était Robert Kotcharian, deuxième président de la République d’Arménie, considéré
le plus corrompu et le plus détesté par la grande majorité des Arméniens.
J’ai écouté l’interview de 1h27
jusqu’au bout pour voir si, à un moment donné, Robert Kotcharian allait parler
de, sinon de sa culpabilité, au moins de sa responsabilité dans la gestion
oligarchique du pays pendant dix ans (voie suivie par son successeur encore
pendant dix ans) situation qui a préparé le terrain à l’arrivée d’un Nikol
Pachinian. Rien, pas un mot. Et il ne fallait pas compter sur les trois
journalistes de la TV Canal-5 pour poser cette question gênante.
En plus de leur entêtement à
n’écouter personne, Nikol Pachinian et son équipe commettent une faute en
continuant à rester en place et ce sans aucune expression de regret pour
admettre leur défaillance lors de cette guerre et plus généralement leur manquement
à transformer les espoirs (et les promesses) de 2018 pour rendre le pays plus
vivable. En agissant ainsi bientôt ils vont ressusciter un homme politiquement
mort, le rendant presqu’une alternative acceptable pour sortir le pays de la
crise. Le comble !
Avec la « révolution »
d’avril 2018 les Arméniens se sont endormis sur des rêves et ils se réveillent
aujourd’hui sur un paillasson. Espérons que ce réveil douloureux va susciter un
élan pour trouver une solution. Cela ne se fera pas avec un claquement de doigts.
L’Arménie seule ne peut pas s’en sortir de ce bourbier. L’implication effective de la diaspora dans la gouvernance politique et économique du pays devient indispensable. Reste à trouver les méthodes acceptables par tous, en bonne intelligence.