Les rapports sur l’utilisation d’armes chimiques en Syrie ? Un air de déjà vu...
Les rapports sur l’utilisation d’armes chimiques par
le régime Assad, font partie d’un récit à répétition rempli de
manipulations.
Robert Fisk
28 avril 2013
28 avril 2013
Y a-t-il un moyen d’échapper au théâtre
des armes chimiques ? Tout d’abord, « les services militaires de
renseignement » israéliens affirment que les forces de Bachar al-Assad
ont utilisé / ont probablement utilisé / auraient pu utiliser /
pourraient utiliser, des armes chimiques. Puis Chuck Hagel, le
secrétaire américain à la Défense, déboule en Israël, pour promettre
encore plus de puissance de feu aux militaires israéliens déjà sur-armés
- en évitant toute mention de leur plus de 200 ogives nucléaires - et
ensuite imbiber comme une éponge tous les « rapports » israéliens sur
l’utilisation avérée/probable /possible, d’armes chimiques par la Syrie.
Alors le bon vieux Chuck retourne à
Washington et dit au monde que « c’est une affaire sérieuse. Nous avons
besoin de tous les faits ». La Maison Blanche dit au Congrès que les
agences américaines de renseignement, probablement les mêmes que les
agences de renseignement israéliennes depuis que les deux côtés
fonctionnent habituellement en tandem, ont des « degrés de confiance
variables » dans l’information. Mais la sénatrice Dianne Feinstein,
présidente de la commission du renseignement au Sénat - qui a réussi à
défendre les actions d’Israël en 1996 après que celui-ci ait massacré
105 civils, principalement des enfants, à Qana au Liban - annonce à
propos de la Syrie qu’« il est clair que les lignes rouges ont été
franchies et que des mesures doivent être prises pour empêcher
l’utilisation [d’armes chimiques] à grande échelle ». Et le plus éculé
des clichés de la Maison Blanche - utilisé jusqu’à présent exclusivement
pour traiter du développement probable/possible d’armes nucléaires par
l’Iran - est ensuite mis en service : « Toutes les options sont sur la
table. »
Dans une société normale, les feux
rouges devraient désormais clignoter, en particulier dans les salles de
rédaction du monde entier. Mais non. Nous, les scribes, rappelons au
monde que Obama avait dit que l’utilisation d’armes chimiques en Syrie
serait un « changement des règles du jeu » - au moins les Américains
admettent que c’est un jeu - et nos rapports confirment ce que personne
n’a réellement confirmé. : l’utilisation d’armes chimiques. J’ai été
approché, dans deux studios de télévision canadiens, par des producteurs
qui brandissaient les mêmes titres. Je leur dis qu’à l’antenne je
mettrai à la poubelle « leurs preuves ». Et soudain la question est
supprimée de ces deux programmes... Non pas parce qu’ils ne veulent pas
en parler - ils le feront plus tard - mais parce qu’ils ne veulent pas
que quelqu’un puisse suggérer en direct qu’il puisse s’agir de montages
de toutes pièces.
CNN n’a pas de telles inhibitions.
Lorsque leur reporter à Amman est questionné sur ce que l’on sait sur
l’utilisation d’armes chimiques par la Syrie, il répond : « Pas autant
que ce que le monde voudrait savoir ... le psychisme du régime Assad
.... etc... » Mais a-t-on essayé ? Ou tout simplement a-t-on posé une
question évidente, qui m’a été soumise par un homme des services syriens
du renseignement à Damas la semaine dernière : « si la Syrie peut
causer infiniment plus de dégâts avec ses bombardiers MiG (ce que fait
le régime) pourquoi devrait-on utiliser des produits chimiques ? » Et
puisque tant le régime que ses ennemis s’accusent mutuellement
d’utiliser de telles armes, pourquoi Chuck ne craindrait-il pas les
rebelles, comme il craint la dictature d’Assad ?
On en revient toujours aux plus
infantiles des clichés : que les États-Unis et Israël craignent que les
armes chimiques d’Assad « tombent entre de mauvaises mains ». Ils sont
effrayés, en d’autres termes, que ces produits chimiques puissent se
retrouver dans l’arsenal des mêmes rebelles, en particulier les
islamistes, que Washington, Londres, Paris, le Qatar et l’Arabie
saoudite soutiennent. Et si ce sont les « mauvaises mains », on peut
présumer que les armes dans l’arsenal d’Assad sont dans les « bonnes
mains ». Ce fut le cas avec les armes chimiques de Saddam Hussein -
jusqu’à ce qu’il les utilisent contre les Kurdes.
Maintenant, nous savons qu’il y a eu
trois incidents spécifiques dans lesquels le gaz sarin [gaz innervant
mortel dont la version actuelle a été mise en point par les britanniques
en 1952 - N.d.T] a soi-disant été utilisé en Syrie : à Alep, où les
deux côtés se sont mutuellement renvoyé l’accusation (les vidéos de
l’hôpital proviennent en fait de la télévision d’État syrienne) ; à
Homs, apparemment sur un très petite échelle, et dans la banlieue de
Damas. Et, bien que la Maison Blanche semble avoir raté l’information,
trois enfants réfugiés syriens ont été amenés à l’hôpital de la ville
libanaise de Tripoli avec de profondes et douloureuses brûlures sur
leurs corps.
Mais maintenant, apparaissent quelques
problèmes. Des obus au phosphore peuvent infliger des brûlures
profondes, et peut-être causer des malformations congénitales. Mais les
Américains ne semblent pas indiquer que l’armée syrienne aitt utilisé du
phosphore (qui est en fait un produit chimique). Après tout, les
troupes américaines ont utilisé la même arme dans la ville irakienne de
Fallujah, où il y a en effet aujourd’hui une explosion de malformations
congénitales.
Je suppose que notre haine du régime
Assad pourrait être plus crédible si nous étions horrifiés par les
rapports sur la torture par la police secrète syrienne des prisonniers
aux mains du régime. Mais il y a un problème là aussi : il y a seulement
10 ans, les États-Unis « restituaient » des hommes innocents, y compris
un citoyen canadien, à Damas pour y être interrogés et torturés par les
mêmes policiers des services secrets. Et si nous mentionnons les armes
chimiques de Saddam Hussein, il y a un autre petit problème : les
composants de ces armes ignobles ont été fabriqués par une usine dans le
New Jersey et expédiés à Bagdad par les États-Unis !
Ce n’est pas l’histoire qui prévaut dans
nos salles de rédaction, bien sûr. Allez dans un studio de télévision,
et vous les verrez tous lire les journaux. Rendez-vous dans le bureau
d’un journal, et vous les verrez tous regarder la télévision. C’est
osmotique. Et les titres sont tous les mêmes : la Syrie utilise des
armes chimiques. Voilà comment fonctionne le théâtre.
* Robert Fisk est le correspondant du
journal The Independent pour le Moyen Orient. Il a écrit de nombreux
livres sur cette région dont : La grande guerre pour la civilisation :
L’Occident à la conquête du Moyen-Orient.
Traduction : Info-Palestine.eu - al-Mukhtar
Article original en anglais :
http://www.independent.co.uk/news/w...
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