Manifestations à Istanbul et Ankara
Les manifestants turcs continuent à défier le gouvernement.
ISTANBUL, 03 juin
2013 (AFP) - et de notre correspondant Erol Ozkoray
Au troisième jour de leur mouvement, les manifestants turcs
ont maintenu dimanche
la pression sur le gouvernement de Recep Tayyip
Erdogan en occupant
la place Taksim d'Istanbul, tandis que de nouveaux incidents ont éclaté dans la capitale
Ankara.
D.R. |
Plusieurs milliers de personnes continuaient tard dans la soirée à manifester
contre le gouvernement islamo-conservateur dans le quartier
résidentiel de Kavaklidere, à Ankara, après
avoir été brutalement délogés plus tôt par la police de la place centrale
de Kizilay de la capitale.
"Personne ne veut de toi Tayyip", scandaient les protestataires à Ankara.
Les manifestants reprochent au Premier ministre
Erdogan d'être trop conservateur
et de aux manifestants de vouloir "islamiser" la société turque.
"Tous les Turcs sont sous pression depuis
dix ou onze ans", a confié à l'AFP
Hallit Aral, "aujourd'hui, tout le monde veut que le Premier ministre
s'en aille".
La police a tiré dimanche
après-midi des dizaines
de grenades lacrymogènes et fait usage de canons à eau pour disperser les protestataires rassemblés sur la place de
Kizilay.
Les forces de l'ordre sont aussi intervenues à plusieurs reprises
afin d'empêcher un millier
de protestataires qui voulaient se diriger vers les bureaux
du Premier ministre Recep Tayyip Erdogan.
"L'intervention est constante, la police n'arrête
pas de repousser les manifestants qui ne les menacent
absolument pas. Nous avons beaucoup
de mal à respirer", a indiqué
Gözde Özdemir, une secrétaire âgée de 27 ans.
Plusieurs personnes ont été blessées, a affirmé
cette protestataire.
Notre correspondant Erol Ozkoray écrit : "Je
viens d'arriver de Taksim où il y avait au moins 500.000 personnes pour
fêter le retrait de la police (au bout de cinq jours de combat très
très dure et inimaginable). J'ai vu un groupe composé de 5.000 personnes
qui ont résisté durant 6 heures sans faire un pas en arrière face à des
bombes lacrymogènes qui pleuvaient sur eux (minimum 2-3 par seconde
durant 6 heures). Je n'en reviens toujours pas. Nous avons gagné donc
la première bataille. Mais ce qui est important les Turcs découvrent
pour la première fois ce que c'est l'individualisme qui est la base même
pour construire une vraie démocratie (voir le livre de Nurten). Toutes
les couches de la société de tout âge sont présents donc. Derrière ce
mouvement de révolte il n'y a aucun parti, aucune institution, aucune
organisation. C'est spontané. Nous sommes en face de l'homme/de la
femme révolté. Aucune peur aussi. Partie d'un petit parc d'Istanbul, cette révolte s'est propagée, en
deux jours, à une cinquantaine de ville de
Turquie. Quand tu n'as pas peur tu déplaces les montagnes, tu tiens tête
contre l'autoritarisme, le fascisme (vert) et le totalitarisme
(sournois, dans le cas turc). C'est une première dans toute l'histoire
de la République, c'est-à-dire depuis 90 ans. Donc, une nouvelle ère
commence pour ce pays, de là il y aura un nouveau parti politique qui va
naître (ça c'est sûr). Rien ne sera donc comme auparavant. Si on réussi
à canaliser ce mouvement spontané, très démocratique et très conscient
nous pourrons enfin construire une vraie démocratie. Après les Kurdes
qui luttent depuis 30 ans contre l’État autoritaire et fascisant, les
Turcs découvrent avec beaucoup de retard la voie qui mène vers la
démocratie: c'est-à-dire la lutte frontale sans laquelle il sera impossible de
passer à une démocratie."
Selon l'agence officielle Anatolie, environ 200 personnes ont été interpellées et ont été amenées
à bord d'autocars de la
police à la direction de
sûreté.
A Istanbul, tout l'après-midi, des milliers de personnes ont envahi
l'emblématique place du centre de Taksim, désormais vide de toute présence policière après deux jours de violents incidents qui ont fait plusieurs centaines
de blessés et provoqué l'arrestation de plus de 1.700 manifestants dans toute la Turquie.
Fer de lance du plus important mouvement
de contestation populaire du gouvernement islamo-conservateur turc depuis son arrivée au pouvoir en 2002, les militants de la société civile turque
ont largement cédé la
place à la gauche et à
l'extrême gauche qui ont célébré
leur victoire après
le retrait des forces de l'ordre
samedi.
Au terme d'une journée
plutôt calme, des affrontements ont repris dans la soirée entre les forces de l'ordre et plusieurs milliers
de manifestants qui s'étaient réunis autour des bureaux stambouliotes du Premier ministre.
Dans la nuit de samedi à dimanche
déjà, des affrontements très violents avaient opposé policiers et manifestants dans la capitale,
causant d'importants dégâts.
Selon le syndicat
des médecins d'Ankara, 414 civils avaient
été blessés dans ces
incidents, dont six souffrant de graves traumatismes à la tête. De son côté, l'agence de presse Anatolie a fait état de 56 blessés au sein des forces
de l'ordre.
Signe de la persistance de la mobilisation, des manifestations contre le pouvoir ont également eu lieu à Izmir (ouest), Adana
(Sud) et Gaziantep
(sud-est).
Sous le
feu des critiques, le Premier ministre
a été contraint samedi de lâcher du lest, au terme de deux jours d'affrontements, ordonnant à la police de quitter la place Taksim et le petit parc Gezi, dont la
destruction annoncée a donné le signal
de la révolte.
Critiques
Les organisations de défense des droits de l'Homme turques
et étrangères ont dénoncé la violence de la répression, faisant état de plus de mille blessés.
Amnesty International a même évoqué la mort de deux personnes.
Ces chiffres n'ont
pas été confirmés de source officielle. Le ministre de l'Intérieur Muammer Güler n'a fait état que de 58 civils et 115 policiers blessés pendant les 235 manifestations recensées depuis mardi dernier dans 67 villes du pays. Selon M. Güler, la police a interpellé plus de 1.700 manifestants, pour la plupart rapidement relâchés.
Au sein même du pouvoir,
plusieurs voix dissonantes se sont fait entendre pour regretter la brutalité des interventions policières. Le chef de l'Etat Abdullah
Gül a jugé "inquiétant" le niveau de la confrontation. Et le vice-Premier ministre Bülent
Arinç a prôné le dialogue "plutôt que de tirer du gaz sur des gens".
Des pays alliés occidentaux, comme
les Etats-Unis et le Royaume-Uni samedi, puis la France dimanche, ont eux aussi
appelé le gouvernement turc à la retenue.
Le ministre turc des Affaires
étrangères Ahmet Davutoglu a lui-même déploré
les dommages causés par ces événements à la
"réputation" de son pays qui, a-t-il
dit sur son compte
Twitter, est "admiré dans la région et dans
le monde".
Face à ces réactions, le Premier ministre a reculé et concédé que la police
avait agi dans certains cas de
façon "extrême". "Il
est vrai qu'il y a eu
des erreurs, et des actions extrêmes
dans la réponse de la police", a-t-il
dit, ajoutant qu'une enquête avait été ordonnée
par le ministère de l'Intérieur.
Mais il a répété qu'il mènerait le projet d'aménagement urbain contesté de la
place Taksim jusqu'à son terme.
Et comme un nouveau défi aux manifestants qui lui reprochent de vouloir
"islamiser" la société
turque, M. Erdogan
a confirmé dimanche
qu'une mosquée serait bâtie sur la place Taksim, rendez-vous traditionnel de toutes les contestations à Istanbul.
"Oui, nous allons
aussi construire une mosquée. Et je ne vais pas demander la permission du président du CHP (Parti
républicain du peuple,
principal parti d'opposition) ou à une paire de
pilleurs pour le faire", a-t-il lancé,
"ceux qui ont voté
pour nous nous ont déjà donné l'autorité pour le faire".