Le Sud Caucase : prochaine zone de guerre ?
Jan VAROUJAN
D’abord la
guerre en Ukraine, puis celle de Gaza, et enfin les chutes successives
d’avions, ont monopolisé l’attention des médias ces derniers temps. L’émotion
et la colère ont souvent embrumé les esprits. Dans ce flot continu
d’informations, certains événements, comme l’élection présidentielle en
Turquie, pourtant importante pour la région, sont presque passés au deuxième ou
troisième rang de la hiérarchie médiatique, les rédactions ayant dû faire un
choix difficile quant aux sujets à traiter, ou pas.
À cela
s’ajoute la pression exercée sur les médias traditionnels par les réseaux
sociaux, où chacun fait « sa une » tandis que les
« suiveurs » la diffusent instantanément, et vice versa.
Dans ce
maelström d’informations, un conflit gelé a presque disparu des radars.
Pourtant des étincelles de plus en plus visibles, fréquentes et accentuées
s’approchent dangereusement du baril de poudre sur lequel sont assis deux pays
du Sud Caucase : l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Adversaires autour du dossier
de Haut-Karabagh, une république autodéterminée et non reconnue par la communauté internationale, les deux pays sont liés par un cessez-le-feu depuis la guerre gagnée
par les forces arméniennes en 1994.
Les négociations sont pilotées par le
« groupe de Minsk » (Russie, États-Unis, France) et les parties
doivent trouver une solution politique et pacifique, sans recourir à la force.
Or, les
Azéris, depuis des années, violent le cessez-le-feu avec des tirs de snipers
près des lignes de contacts. Le scénario est toujours le même : les
snipers azéris ouvrent le feu et parfois font des victimes, militaires ou
civiles. Dès qu’il y a des morts ou des blessés, les Arméniens ripostent,
blessant ou éliminant à leur tour des militaires azéris. En outre, ont eu lieu
plusieurs tentatives d’intrusion de la part des Azéris, chaque fois repoussée
rapidement par la partie arménienne. Les déclarations de l’OSCE et des médias
qui les reprennent ne nomment pas clairement l’agresseur qui est l’Azerbaïdjan,
les actions de l’Arménie n’étant qu’une riposte à ces provocations.
Ilham
Aliyev, qui dirige le pays sans partage avec sa clique, et dont la dernière
élection a été contestée, doit faire face au mécontentement de sa population
qui ne bénéficie pas des retombés de la richesse du pays engendrée par les
gisements de pétrole et du gaz de la Mer Caspienne. Côté politique,
l’opposition, la presse et les ONG sont muselées d’une façon brutale. Récemment
Leyla Yunus, rare voix dissidente dans
l’Azerbaïdjan du clan Aliev, a été encore une fois arrêtée et jetée en
prison ainsi que Rasul Jafarov.
Un budget
militaire démesuré
Afin de
détourner l’attention de ces oppositions, Aliyev a besoin d’un ennemi
extérieur, un bouc émissaire et dans ce cas le
Haut-Karabakh est une valeur sûre. Le discours belliqueux d’Aliyev depuis des
années ( « nous reprendrons le Karabagh par les armes »,
« l’Arménie aussi appartient aux Azéris », etc. ) étaient considéré
par les autorités arméniennes, à notre avis à tort, comme un discours
inconséquent, « à usage interne ». Cependant depuis quelques mois des
signes de tension graves sont constatés par les observateurs de la région, avec
une vingtaine de morts, le nombre de victimes le plus élevé depuis 1994, et qui
font craindre une reprise du conflit armé. Parallèlement l’Azerbaïdjan augmente
sa capacité militaire, tout aux moins sur le plan matériel, d’une façon
exponentielle. Grâce aux revenus pétroliers, le budget de la défense azéri a
progressé de 45 % entre 2010 et 2011, soit 2,2 milliards
d'euros, un cinquième du budget global du pays. Les achats d’armes de plus en
plus sophistiquées continuent auprès d’Israël, mais aussi de la Russie. Selon
un rapport de The Stockholm International
Peace Research Institute le budget de la défense de l’Azerbaïdjan aurait
augmenté de 493 % entre 2004 et 2010 !
Un
spécialiste et ancien héros de la guerre de 1992-94, que j’ai pu rencontrer à
Chouchi, la deuxième ville du Haut-Karabagh, (Artsakh en arménien), en juin dernier reste néanmoins serein et confiant.
« Si les Azéris avaient la moindre certitude de gagner la guerre, ils
l’auraient déjà déclenchée », m’a-t-il assuré tout en savourant son thé
vert à la menthe. « Ils ont sûrement plus de matériel que nous, mais nous
avons une armée plus qualifiée et plus motivée. Nous les attendons de pied
ferme ».
Sud Caucase, une
région explosive
La région du
Caucase est une des plus militarisées au monde. Sur la ligne de front, un
affrontement mineur « accidentel » peut à tout moment dégénérer en
une guerre. Si guerre il y avait, ses « conséquences régionales seraient
dévastatrices », prédit l'International
Crisis Group. Au sud, l'Iran, qui entretient de bonnes relations avec
l’Arménie, et la Turquie, allié traditionnel de l'Azerbaïdjan, menacent d'être
entraînés dans le conflit. Au nord, la Russie liée par un accord militaire
bilatéral avec l’Arménie ne pourrait rester inerte. L’Europe et des
investisseurs occidentaux, notamment la BP qui contrôle entre autres l’oléoduc
BTC (Bakou-Tbilissi-Ceyhan), seraient indirectement affectés par un conflit
armé puisque les raffineries de pétrole et les dépôts de gaz fournissant
l’Europe pourraient être visés par des missiles de l’armée du Karabagh dès le
début d’une guerre. Donc la faiblesse relative de l’armée arménienne sur le
plan matériel serait compensée par la menace réelle sur des cibles stratégiques
de l’Azerbaïdjan. Or, comme dans un jeu d’échecs, dans lequel excellent les
Arméniens, la menace est souvent plus efficace que le coup à jouer.
Après les
incidents qu’ont faits 20 morts la semaine dernière, le ministre de la Défense
de la République d’Arménie, Seyran Ohanian a déclaré à la presse :
« L’adversaire doit faire attention à ne pas mettre à l’épreuve notre
patience ». Le 2 août, le ministre des Affaires étrangères Edward
Nalbandian, répondant à « Armenpress » a déclaré : « Il est
grand temps que la communauté internationale dégrise le gouvernement azéri qui
a perdu le sens des réalités et qui va à l'encontre des règles et valeurs de la
communauté internationale ».
Espérons
pour la paix dans la région que Bakou changera rapidement son attitude
irréfléchie et que le président Ilham Aliyev cessera de jouer au Dr Folamour du
Caucase.
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