dimanche 28 juin 2020

E&O n°30 : Impérities



E&O paraît comme prévu



La crise du Corona virus n'a presque pas perturbé les activités ni de la rédaction de la revue "Europe & Orient" ni des éditions Sigest habituellement fonctionnant en télétravail.



14 euros, frais de port compris pour France métropolitaine



Sommaire E&O n° 30 (juin 2020)

Réflexion sur l’inculture et la talibanisation du droit international                                 5
Henry Cuny
Le déclin                                                                                                                                    12
Varoujan Sirapian
Guerres hybrides en Ukraine                                                                                            14
Gabriel Galice
La guerre hybride gréco-turque                                                                                     26
Charalambos Petinos
Gagner ensemble                                                                                                                  32
ASAF
Protéger l’Europe                                                                                                                  36
Tony S. Kahvé
Réforme constitutionnelle russe                                                                                    41
Karine Bechet-Golovko
L’autorité est-elle immunodéficitaire?                                                                        45
François-Bernard Huyghe
Non, la France n’est pas en guerre!                                                                              47
Slobodan Despot
America ! America !                                                                                                               50
Armand Sammelian
105e anniversaire du génocide de 1915                                                                      55
Dogan Özgüden
S’opposer à la Turquie pour soutenir l’Europe                                                        58
Patrick Devedjian
Erdoğan sans limites                                                                                                            61
Christophe Chiclet
En prison en Turquie                                                                                                           66
Osman Kavala
Le préalable pour la paix                                                                                                    68
Taner Akcam
Covid-19 en Turquie                                                                                                            72
Gülçin Erdi
La destruction de Chouchi                                                                                                78
Claude Mutafian
Le génocide des Arméniens et l’holocauste                                                              85
Sivan Gaides
L’UFAR fête ses vingt ans                                                                                                   89
Henry Cuny
Réflexion autour d’un 24 avril                                                                                          91
Henry Cuny
L’héritage de Rouben Shougarian                                                                                 94
Tigrane Yégavian
Le paradoxe du Wahhabisme                                                                                          98
Georges Corm
Western asymétrique et détestation globale                                                         104
Richard Labévière
Le coronavirus, maladie infantile du libéralisme?                                               112
Jean Geronimo
La dictature des institutions britanniques                                                               115
Valérie Bugault
Géopolitique du coronavirus                                                                                        122
Jean-François Susbielle
Le développement durable, c’est quoi?                                                                  125
Monique Bondolfi-Masraff
La résistible ascension de la «médicocratie»                                                        127
Juan Corresco
Russie : les erreurs du passé                                                                                           135
Jean Dorian


En 2019 E&O a fêté sa 15e anniversaire.

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N°28                            N°29

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mercredi 24 juin 2020

Le jeu dangereux d’Erdogan

Le jeu dangereux d’Erdogan 


Le jeu dangereux d’Erdogan a été déjà joué par Süleyman Demirel il y a 52 ans





Doğan Özgüden
Traduction du turc par E&O
24.06.2020

Tout comme les actes de Recep Tayyip Erdogan qui piétinent aujourd’hui les droits fondamentaux de l’homme et les règles des droits internationaux les plus élémentaires, Suleyman Demirel, le Premier ministre de l’époque, il y a 52 ans, avait dépassé la ligne rouge dans la répression, les complots et les conspirations jetant ainsi les bases du coup d’État fasciste de 1971. Vedat Demircioğlu, étudiant à l’Université technique d’Istanbul, a été assassiné par la police le 30 juillet 1968.

Dans l’article que je publiais dans le journal « Ant », intitulé Les bruits de bottes du fascisme, j’écrivais : 
« Le gouvernement d’AP (Adalet Partisi, [Parti de la Justice] ndlr) a finalement laissé tomber le masque et son vrai visage a émergé avec toute sa répugnance. Il s’agit d’un pouvoir anarchique et tyrannique qui est assez déterminé pour assassiner les enfants de la patrie qui se battent pour l’indépendance de la Turquie et les droits humains de ses citoyens. Il cherche à mettant les masses dans les rues, pour les monter les uns contre les autres avec mille et une provocations pour installer ensuite une terreur sanglante afin de ramener la paix dans le pays. La décision est basée sur deux forces pour mettre en œuvre le plan de destruction sanglante : l’Armée et la Police… Cependant, il n’est pas improbable que cette démarche vers la répression et la terreur dépasse le contrôle du gouvernement d’AP et jette les bases d’un coup d’État fasciste. »[1] 

Tout comme aujourd’hui, les procureurs qu’étaient sous l’ordre et le contrôle du gouvernement, suite à cet article m’ont immédiatement poursuivi m’accusant « de déshonorer la police et les forces de protection de l’État, selon l’article 159 du Code pénal turc ».

Le tribunal pénal n°5 d’Istanbul m’a condamné à un an de prison et 6 mois d’exil à Balikesir lors d’une audience le 20 juin 1969. À l’époque, il y avait 23 affaires déposées contre moi devant les tribunaux civils pour divers articles, et on a demandé une condamnation à une peine allant jusqu’à 46 ans de prison. Depuis lors, le nombre de dossiers déposés contre moi et les amis qui se sont battus avec moi à « Ant », en particulier Inci, accroitra rapidement et les sanctions prescrites arriveront à des centaines d’années.

En outre, en 1967, un autre article dans lequel je dénonçais le projet des États-Unis d’implanter de mines atomiques en Anatolie orientale, a donné lieu, sur ordre du chef d’état-major fasciste de l’époque, le général Cemal Tural, pour une prétendue « trahison à la nation », à un procès instruit par le Tribunal militaire de la Première Armée à Istanbul, demandant 7 ans de prison. Il s’agissait de la première affaire déposée devant un tribunal militaire contre un journaliste avant la déclaration de la loi martiale et le coup d’État du 12 mars.

Dans ce climat de répression préparé par Demirel, d’abord après la résistance des travailleurs du 15 au 16 juin 1970 et ensuite après le putsch du 12 mars 1971 des centaines de journalistes, de scientifiques, d’artistes, de travailleurs et de leaders de la jeunesse seront condamnés à de lourdes peines de prison devant la Cour martiale. Dans les villes comme Istanbul, Ankara et Diyarbakir, Deniz Gezmiş, Yusuf Arslan et Huseyin Inan seraient condamnés à la peine capitale et exécutés.

Suleyman Demirel, qui a préparé ce terrain de répression, soutiendra au Parlement (TBMM) toutes les lois et pratiques imposées par les militaires et aussi votera pour les condamnations à mort des militants.

Après (et malgré) tout cela Suleyman Demirel sera plusieurs fois Premier ministre et même président de la République de Turquie.


[1] Voir l’article original sur https://www.info-turk.be/Yorum83.jpg

mardi 23 juin 2020

Liban : le rêve secret d'Erdogan




La présence turque fleurit au Liban 
où les cèdres se fanent

Une colonie turque de plus en plus imposante, dont la composante est diverse, s'implante au Liban :

- Environ 10 000 Ottomans qui sont restés au Liban après son  retrait de leur Empire (ottoman, ndlr) en 1918.
- Les descendants des mariages turco-libanais sunnites.
- Au nord du pays, dans le gouvernorat d'Akkar les villages ont une population d'origine turkmène. Lors d'une visite officielle au Liban, Recep Tayyip Erdogan, alors premier ministre, a visité la région et a convié la population à changer leur identité turkmène en "pure" turque.
- Entre 120 000 et 150 000 turco-syriens sunnites ont emigré au Liban dans les années 1990 pour y travailler ou fixer domicile permanent. Ils sont installés au nord et à l'est du pays ainsi qu'en banlieue nord de Beyrouth (capitale culturelle de la diaspora arménienne du Liban) à Bourdj Hammoud qui compte  encore une dense population arménienne.
- Environ 5000 extrémistes syriens sunnites auxquels la nationalité turque a été attribuée, ont été, par les services secrets turcs, déployés autour du village arménien d'Andjar à l'est du pays.

Ces dernières années des milliers de drapeaux turcs sont accrochés sur les balcons des différents quartiers de la ville de Tripoli dont la tour de l'horloge de la place All-Tall, construite à l'occasion du 30e anniversaire du règne du Sultan "rouge" (1906) a été rénovée avec les fonds de l'État turc. Et après restauration la municipalité  l'a nommée "Tour du sultan Hamid II".

La Turquie a ouvert des centres médicaux et des écoles ou le turc est enseigné par des agents secrets dissimulés en enseignants et les bourses sont octroyées aux jeunes Libanais pour des études dans les universités turques.

Sur le plan militaire, 170 soldats turcs sont placés le long de la frontière israélienne, sous l'égide de l'ONU.

Des 250 000 Arméniens au Liban pendant la guerre civile (1975-1990), il n'en reste actuellement qu'entre 30 et 35 000 et ils font face à trois défis de taille. La pandémie, une crise financière sans précédent et indépendante de celle sanitaire (la livre libanaise a perdu 70% de sa valeur depuis trois mois) et enfin la présence d'une colonie turque empoisonnée par une passion anti-arménienne, soutenue par Ankara qui, rêvant d'un passe "glorieux" de l'Empire ottoman,  y déploie tous ses moyens diplomatiques et militaires subversifs.

Zaven Gudsuz
22.06.2020

sources : 
K. Yazedjian, Erevan
Keghart, Toronto

lundi 22 juin 2020

LE POGROM « FURTUNA »


UNE PAGE NOIRE EN TURQUIE IL Y A 86 ANS : LE POGROM «FURTUNA»


Doğan Özgüden


Les massacres, les pogroms, les actes génocidaires qui ont commencé sous l’Empire ottoman et qui ont continué après la fondation de la République de Turquie, afin de purifier le pays en éliminant les non-musulmans tels que les Arméniens, les Assyriens, les Grecs et les Kurdes, ont pris aussi comme cible les juifs.
En 1934, 21 ans avant le pogrom qui ont eu lieu à Istanbul et à Izmir les 6 et 7 septembre 1955 contre les non-musulmans, un pogrom a été infligé aux juifs dans la région de Thrace.[i]
Tout comme les Asssyriens-Aramis-Chaldéens ont appelé le génocide de 1915 «Seyfo», les Juifs appelaient le pogrom de Thrace «Furtuna».
À la suite d’articles racistes contre les juifs parus dans les médias comme «Orhun» dirigée par Nihal Atsız, un sympathisant du nazisme, ou dans le journal «Milli Inkilap» (Révolution nationale) dirigé par Cevat Rıfat Atilhan, qui contenait des caricatures antisémites directement extraites du journal nazi «Der Sturmer», l’opinion publique a été influencée pour agir violemment contre la minorité juive. Dans les provinces telles que Tekirdag, Edirne, Kirklareli et Canakkale, des magasins et des maisons juifs ont été pillés et des femmes ont été violées.
Bien avant les provocations d’Atsiz et d’Atilhan, le gouvernement turc, dirigé par le Premier ministre Ismet Inönü, sous la présidence d’Atatürk, avait jeté les bases de ce pogrom.
L’inspecteur général de Thrace, Ibrahim Tali Öngören, connu comme un Ittihadiste pendant la Première Guerre mondiale, a joué un rôle pivot dans l’orchestration du pogrom de 1934. Avant la Thrace, il était l’inspecteur général dans les régions kurdes d’Anatolie.
Tali avait fait un tour des villes et villages de Thrace entre le 6 mai et le 7 juin 1934, et avait rédigé le 16 juin 1934, un rapport de 90 pages reprenant la plupart des stéréotypes antisémites. Il expliquait que les Juifs de Thrace dominaient l’économie de la province, soit directement soit indirectement en extorquant des fonds aux propriétaires locaux par des prêts, des crédits ou des partenariats.
Dans la section titrée «Le problème juif en Thrace», Tali se plaint des pertes économiques énormes causées par les officiels corrompus agissant au profit des Juifs.
Le 14 juin 1934, le Parlement turc a adopté la loi 2510 qui impose de ne parler que le turc. Cette loi vise entre autres les Juifs, dont beaucoup sont d’origine espagnole, ayant fui l’Inquisition cinq siècles plus tôt, et qui ont gardé comme langue pour parler entre eux le judéo-espagnol, mélange de vieux castillan et d’Hébreux (ladinos).
L’article 9 de cette loi vise aussi à expulser toutes les minorités non turques des zones frontalières comme la Thrace.
Atilhan, que les nazis appelaient «Herr Major», et qui publiait son journal antisémite «Milli Inkilâp» (Révolution nationale) avec le soutien des Allemands, avait annoncé qu’il ne recevrait jamais de publicité de la part d’entreprises juives. De nombreuses pages du journal, étaient remplies d’articles antisémites, écrits par d’infâmes racistes tels que Nihal Atsız.[ii]
Avant le début des pogroms de Thrace, d’abord, des lettres anonymes de menace de mort sont envoyées à des membres éminents de la communauté juive, et des tracts invitent le peuple à boycotter les magasins juifs.
Le 21 juin 1941, les premières manifestations commencent à Çanakkale. En plus du boycott économique, les Juifs maintenant sont sujets à des attaques physiques. Les hommes sont roués de coups et plusieurs femmes violées, les magasins et les habitations sont pillées et saccagées. Des événements identiques se produisent le même jour dans toute la Thrace orientale, à Kırklareli, Edirne, Tekirdağ, Uzunköprü, Silivri, Babaeski, Lüleburgaz, Çorlu et Lapseki, ainsi que dans quelques petites villes de l’ouest de la région égéenne.
Cette simultanéité implique que ces manifestations n'ont pas été spontanées ni d’origine populaire, mais bien préparées au niveau régional. Il faut aussi noter que le gouverneur de Kırklareli et celui de Çanakkale avaient quitté leurs villes et se trouvaient «en vacances». Il semble aussi que des instructions strictes aient été données de ne pas provoquer de morts, ce qui aurait pu avoir de conséquences internationales. À l’apogée de la violence, un rabbin aurait été promené nu dans la rue, tandis que sa fille se faisait violer. Les troubles vont perdurer jusqu’au 4 juillet.
La population juive de Thrace orientale avant ces événements était estimée entre 13000 et 15000. D’après les estimations officielles, environ 3000 réfugiés, soit environ un quart de la population juive du territoire, fuient la région, mais il semble que ce nombre ait été beaucoup plus élevé; certains s’installent à Istanbul, d’autres en Bulgarie et un autre groupe partira pour la Palestine. Plusieurs autres incidents racistes à l’égard des Juifs s’étaient déjà produits auparavant en Turquie, et se reproduiront par la suite, mais ceux de 1934 sont les premiers pogroms qui se produisent sous la république.
Impôt inique sur la fortune (Varlik Vergisi) en 1942[iii], et l’enrôlement forcé dans l’armée (imposé aux minorités non musulmanes) pendant la Seconde Guerre mondiale rendraient la vie de ces minorités encore plus difficile. La plupart des juifs seraient obligés de migrer à l’étranger et, en 1947, vers l’État nouvellement établi d’Israël.


Source - https://www.info-turk.be

21 juin 2020


[i] Cf. « Livre blanc – Europe-Turquie : un enjeu décisif », Sigest, 2005.
[ii] Ibid.
[iii] Ibid.