UNE PAGE NOIRE EN TURQUIE IL Y A 86 ANS : LE POGROM « FURTUNA »
Doğan Özgüden
Les massacres, les pogroms, les actes
génocidaires qui ont commencé sous l’Empire ottoman et qui ont continué après
la fondation de la République de Turquie, afin de purifier le pays en éliminant
les non-musulmans tels que les Arméniens, les Assyriens, les Grecs et les
Kurdes, ont pris aussi comme cible les juifs.
En 1934, 21 ans avant le pogrom qui ont
eu lieu à Istanbul et à Izmir les 6 et 7 septembre 1955 contre les non-musulmans,
un pogrom a été infligé aux juifs dans la région de Thrace.[i]
Tout comme les Asssyriens-Aramis-Chaldéens
ont appelé le génocide de 1915 « Seyfo », les Juifs appelaient le pogrom de Thrace « Furtuna ».
À la suite d’articles racistes contre les
juifs parus dans les médias comme « Orhun » dirigée par Nihal Atsız, un sympathisant du nazisme, ou dans le journal « Milli Inkilap » (Révolution nationale) dirigé par Cevat
Rıfat Atilhan, qui contenait des caricatures antisémites directement extraites
du journal nazi « Der Sturmer », l’opinion
publique a été influencée pour agir violemment contre la minorité juive. Dans
les provinces telles que Tekirdag, Edirne, Kirklareli et Canakkale, des
magasins et des maisons juifs ont été pillés et des femmes ont été violées.
Bien avant les provocations d’Atsiz et
d’Atilhan, le gouvernement turc, dirigé par le Premier ministre Ismet Inönü,
sous la présidence d’Atatürk, avait jeté les bases de ce pogrom.
L’inspecteur général de Thrace, Ibrahim Tali Öngören, connu comme un
Ittihadiste pendant la Première Guerre mondiale, a joué un rôle pivot dans l’orchestration
du pogrom de 1934. Avant la Thrace, il était l’inspecteur général dans les
régions kurdes d’Anatolie.
Tali avait fait un tour des villes et villages de Thrace entre le 6 mai
et le 7 juin 1934, et avait rédigé le 16 juin 1934, un rapport de 90 pages
reprenant la plupart des stéréotypes antisémites. Il expliquait que les Juifs
de Thrace dominaient l’économie de la province, soit directement soit
indirectement en extorquant des fonds aux propriétaires locaux par des prêts,
des crédits ou des partenariats.
Dans la section titrée « Le problème juif en
Thrace », Tali se plaint des pertes économiques énormes causées
par les officiels corrompus agissant au profit des Juifs.
Le 14 juin 1934, le Parlement turc a
adopté la loi 2510 qui impose de ne parler que le turc. Cette loi vise
entre autres les Juifs, dont beaucoup sont d’origine espagnole, ayant fui l’Inquisition
cinq siècles plus tôt, et qui ont gardé comme langue pour parler entre eux le
judéo-espagnol, mélange de vieux castillan et d’Hébreux (ladinos).
L’article 9 de cette loi vise aussi à expulser toutes les minorités
non turques des zones frontalières comme la Thrace.
Atilhan, que les nazis appelaient « Herr Major », et qui publiait son journal antisémite « Milli Inkilâp » (Révolution nationale) avec le soutien
des Allemands, avait annoncé qu’il ne recevrait jamais de publicité de la part
d’entreprises juives. De nombreuses pages du journal, étaient remplies d’articles
antisémites, écrits par d’infâmes racistes tels que Nihal Atsız.[ii]
Avant le début des pogroms de Thrace, d’abord,
des lettres anonymes de menace de mort sont envoyées à des membres éminents de la
communauté juive, et des tracts invitent le peuple à boycotter les magasins
juifs.
Le 21 juin 1941, les premières
manifestations commencent à Çanakkale. En plus du boycott économique, les Juifs
maintenant sont sujets à des attaques physiques. Les hommes sont roués de coups
et plusieurs femmes violées, les magasins et les habitations sont pillées et
saccagées. Des événements identiques se produisent le même jour dans toute la
Thrace orientale, à Kırklareli, Edirne, Tekirdağ, Uzunköprü, Silivri, Babaeski,
Lüleburgaz, Çorlu et Lapseki, ainsi que dans quelques petites villes de l’ouest
de la région égéenne.
Cette simultanéité implique que ces manifestations n'ont pas été spontanées
ni d’origine populaire, mais bien préparées au niveau régional. Il faut aussi
noter que le gouverneur de Kırklareli et celui de Çanakkale avaient quitté leurs
villes et se trouvaient « en vacances ». Il semble aussi que des instructions strictes aient été données de ne pas
provoquer de morts, ce qui aurait pu avoir de conséquences internationales. À
l’apogée de la violence, un rabbin aurait été promené nu dans la rue, tandis
que sa fille se faisait violer. Les troubles vont perdurer jusqu’au 4 juillet.
La population juive de Thrace orientale
avant ces événements était estimée entre 13 000 et 15 000. D’après les estimations officielles, environ 3 000 réfugiés, soit environ un quart de la population juive du
territoire, fuient la région, mais il semble que ce nombre ait été beaucoup
plus élevé ; certains s’installent à Istanbul, d’autres
en Bulgarie et un autre groupe partira pour la Palestine. Plusieurs autres
incidents racistes à l’égard des Juifs s’étaient déjà produits auparavant en
Turquie, et se reproduiront par la suite, mais ceux de 1934 sont les premiers
pogroms qui se produisent sous la république.
Impôt inique sur la fortune (Varlik
Vergisi) en 1942[iii], et
l’enrôlement forcé dans l’armée (imposé aux minorités non musulmanes) pendant la
Seconde Guerre mondiale rendraient la vie de ces minorités encore plus
difficile. La plupart des juifs seraient obligés de migrer à l’étranger et, en
1947, vers l’État nouvellement établi d’Israël.