LA PMA SANS PERE
OU LE NAUFRAGE DES LUMIERES
Sans qu’aucun des deux camps en ait conscience, la bataille sur le
projet de loi bioéthique se joue à front renversé. Ceux qui soutiennent le
projet se considèrent généralement comme les héritiers des Lumières sans
réaliser à quel point un tel projet trahit celles-ci ; ceux qui le combattent
appartiennent surtout à la mouvance catholique, alors même que le combat en
cause ne porte que sur le droit naturel et des principes universels qui n'ont
rien de spécifiquement confessionnels.
Les lumières avaient trois maîtres mots
: la raison, la nature, la liberté.
Raison et nature : que penser des
nouveautés introduites par la commission spéciale de l'Assemblée nationale dans
la loi ? La plus singulière est la légalisation de la méthode qui consiste à
féconder l'ovocyte d'une femme avant de le réimplanter dans l'utérus de sa
compagne, de telle manière que leur maternité soit partagée. Est aussi
envisagée la création d'embryons transgéniques, soit à terme la fabrication
d'enfants génétiquement modifiés, la fabrication d'embryons chimères
homme-animal par insertion de cellules- souches humaines dans des embryons
d'animaux. Dans le même esprit, l'Assemblée nationale devrait autoriser
l'autoconservation des ovocytes (sans raison médicale) afin permettant aux
femmes en âge de procréer à remettre à plus tard leur projet de maternité,
ainsi que la technique du « bébé médicament ». Bref : carte blanche à
Frankenstein.
Que tous ces projets soient contraires à la nature est assez
évident. Seuls le députés écologistes qui les votent aveuglément ne s'en sont
pas aperçu.
Les philosophes des Lumières
croyaient au droit naturel
Ceux qui poussent à ces changements
tiennent la nature humaine pour une notion scolastique dépassée. Pourtant la
nature était souvent invoquée par les philosophes des Lumières. Voltaire,
Rousseau, Kant croyaient au droit naturel. Seul homme des Lumières à le récuser
: le marquis de Sade... Les philosophes des Lumières ont combattu l'Eglise au
nom de la nature : le célibat de prêtres et des religieuses était,
disaient-ils, contre-nature ; de même les châtiments infligés aux enfants dans
les collèges auxquels ils préféraient une éducation sans contrainte à la
manière d'Emile.
Aujourd'hui, l'idée de droit naturel est
pourtant tenue pour un gros mot dans les facultés de droit. Singulier paradoxe
au moment où les droits de l'homme (naturels
et imprescriptibles !) sont invoqués partout et où l'on découvre la permanence
du génome de l'Homo sapiens depuis 100
000 ans. Constance du génome, permanence anthropologique.
Contrairement à ce que certains disent,
la liberté prônée sous la Révolution n'est pas illimitée : elle « consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas
à autrui » (article 4 de la Déclaration du 26 août 1789). Le droit
conféré à des femmes sans hommes, de procréer avec un sperme anonyme,
reviendrait à autoriser la fabrication délibérée d'orphelins de père et donc à
leur porter un préjudice irréversible, terrain propice aux pires difficultés
psychologiques, comme les expériences effectuées à l'étranger l'ont montré. La
gestation pour autrui, suite logique de la PMA, est tenue à raison pour une
forme d'esclavage.
Le principe de non-discrimination
devrait interdire d'étiqueter le sperme avec des mentions raciales, ce que le
projet de loi ne prévoit pas, et pour cause.
La raison n'est pas seulement la raison
raisonnante, elle est plus profondément le bon sens, auquel se référait
Descartes, précurseur des Lumières qui, pensait qu'il était « la chose du monde
la mieux partagée ». Où est le bon sens quand on permet à la Sécurité sociale
en détresse financière de rembourser à hauteur de 20 000 € la PMA d'une femme
en bonne santé apte à concevoir naturellement ?
Et que dire du projet lui-même, d'une complexité si effroyable qu'il est à lui seul une
injure au droit ?
Si Jules Ferry
revenait
Raison, nature, morale naturelle (et donc
laïque) et droits de l'homme : souvenons-nous de Jules Ferry écrivant à ses
instituteurs : « avant de proposer à vos
élèves un précepte, demandez-vous si un père de famille, je dis un seul,
présent à votre classe et vous écoutant, pourrait de bonne foi refuser son
assentiment à ce qu'il vous entendrait dire. Si oui, abstenez-vous de le dire ;
sinon, parlez hardiment, car ce que vous allez communiquer à l'enfant, ce n'est
pas votre propre sagesse, c'est la sagesse du genre humain, c'est une de ces
idées d'ordre universel que plusieurs siècles de civilisation ont fait entrer
dans le patrimoine de l'humanité. » Nous
en sommes aujourd'hui bien loin.
Par quelle étrange aberration, les
héritiers des Lumières en sont-ils venus à laisser la défense de la raison, des
droits et de la nature aux tenants des religions, en particulier aux
catholiques. Pas toujours éclairés, ceux-ci comprennent-ils que ce qu'ils
défendent, ce n'est pas une morale particulière mais la morale naturelle -
autrement dit laïque ? Le philosophe Rémi Brague rappelle qu'il n'y a pas de
morale chrétienne : les chrétiens héritent de la Loi de Moïse qui n'est
elle-même que la mise en forme de la morale naturelle. C'est le Comité national
d'action laïque qui, au nom des Lumières, devrait manifester contre les projets
bioéthiques. Les catholiques qui ont capté ce combat sont comme le pape Léon le
Grand qui, sortant de son rôle, défendait Rome face à Attila parce que ceux qui auraient dû le faire, le pouvoir
laïc, étaient défaillants. Quel bel hommage rendu aux religions, que de leur
laisser le monopole de la défense du droit, de la raison et de la nature dont
on supposait jadis qu'elles leur étaient contraires ?
Ce n'est pas la première fois que les
Lumières s'égarent : quand Staline, qui se tenait aussi, comme tous les
marxistes, pour leur héritier, imposait la génétique de Lyssenko au rebours de
la vraie science, c'est la supposée plasticité sans limite de la nature humaine
qu'il affirmait, comme les transhumanistes d'aujourd'hui. Au même moment
d'autres voulaient, au nom de la Science, faire le Surhomme, avec les
conséquences tragiques que l'on sait.
Ce n'est pas la civilisation judéo-chrétienne qui
sombrerait si les projets aberrants que l'on a vus étaient votés, c'est
l'héritage des Lumières qui se trouverait gravement discrédité.
Roland HUREAUX
29.07.2020