Azerbaïdjan - Arménie : une guerre
hybride
J. V. Sirapian
Directeur de la revue « Europe&Orient »
18/07/2020
Le 12 juillet 2020 la confrontation entre l’Arménie
et l’Azerbaïdjan
est montée d’un cran. L’origine du conflit remonte à la guerre de 1992
entre l’Azerbaïdjan
et l’Artsakh (Haut Karabagh)
terminée en 1994 par la victoire des Arméniens avec la signature d’un
cessez-le-feu. Depuis lors, des escarmouches fréquentes
ont eu lieu sur les lignes de contact entre les deux parties. Jusqu’en
2016 les violations du cessez-le-feu (toujours par l’Azerbaïdjan, la partie arménienne
ne faisant que répondre) se limitaient aux lignes de contact
autour d’Artsakh.
Depuis 1994 les deux parties se réunissent
régulièrement sous la houlette du groupe de Minsk
(OSCE) pour trouver une solution pacifique à ce conflit et le
respect du droit à
l’auto-détermination du peuple de l’Artsakh.
En avril 2016, l’Azerbaïdjan a décidé d’élargir
le champ de ses attaques en déclenchant une guerre éclaire
de 4 jours sur environ 800 km
de frontières incluant non seulement l’Artsakh mais aussi l’Arménie.
Ce qui s’est passé
le 12 juillet et les jours suivants sont la continuité de cette stratégie
de la tension voulue par Bakou pour détourner le mécontentement
de plus en plus grandissant de la population à cause de la crise économique
(suite à la
chute vertigineuse du prix du pétrole) en attisant la flamme patriotique nourrie
par la haine anti-arménienne. Bien que l’Azerbaïdjan soit incomparablement plus riche que l’Arménie,
le niveau de vie du peuple d’en bas est presque identique que celui d’Arménie.
Ceci à cause
d’un régime oligarchique corrompu, basé
sur le clientélisme du clan Aliyev, répressif
contre toutes sortes d’oppositions, politique ou intellectuel. La révolution de velours, (avril 2018) qui a renversé pacifiquement le système
oligarchique en Arménie avec un soutien populaire massif, donne
aussi des sueurs froides au clan Aliyev qui redoute un mouvement identique en
Azerbaïdjan.
Irrité, coincé
à l’extérieur
par le statu quo à la table des négociations,
il vient de limoger le MAE Mammedyarov qui était
en poste depuis 2004 et, à
l’intérieur, le peuple gronde alors qu’Aliyev
pense ainsi pouvoir gagner du temps en semant le chaos dans la région.
Il est soutenu dans cette stratégie par son allié,
la Turquie. Par la voix de son ministre des Affaires étrangères
la Turquie a fait savoir qu’elle aiderait l’Azerbaïdjan si un conflit éclatait,
avec l’arrière-pensée de reconquérir
l’Artsakh.
Cette guerre d’usure
ne se joue pas seulement sur le terrain escarpé du Sud Caucase. L’information,
la désinformation, le piratage de sites, l’activisme
de trolls mais aussi les nouvelles technologies sont de la partie, ce qui fait
de cette confrontation une guerre hybride (cf. le dossier spécial de la revue « Europe
et Orient » n° 30-juin
2020). L’article paru dans le journal nationaliste turc « Hürriyet » le 17 juillet
« Le monde entier regarde la confrontation Azerbaïdjan-Arménie » (Dünyanın gözü Azerbaycan - Ermenistan
sınırındaki çatışmalarda) est un exemple de désinformation
de la presse turque sous couvert d’analyse de deux « spécialistes ». Entre
autres, ils mettent en avant la thèse classique de « la main de
l’étranger qui envenimerait le rapprochement entre deux peuples qui
devraient vivre en paix côte à côte ». Les Arméniens en savent quelque chose du « vivre
ensemble » avec les Azéris, se souvenant des exemples comme les
massacres de Chouchi dans les années 20 (cf. Europe&Orient n° 30,
juin 2020), du pogrom de Soumgaït
en 1988, de la décapitation d’un
officier arménien dans son sommeil par un officier azéri
en 2004 à Budapest,
de la mutilation des personnes âgées lors de la guerre de 4 jours
en avril 2016, etc.
La technologie aussi a changé la donne. Commençant
la fabrication des drones-espions il y a quelques années,
l’Arménie produit aujourd’hui
des drones d’attaques. La précision
de la défense antiaérienne
a été améliorée
et on a vu son efficacité ces derniers jours. Un
drone azéri de type Orbiter-3 (de fabrication israélienne,
l’un des meilleurs au monde) a été
descendu par les forces arméniennes.
Drone Orbiter-3 (Made in Israël) |
Si une guerre totale devait éclater
entre les deux pays, les cibles potentielles sur le territoire d’Azerbaïdjan seraient les raffineries de la mer
Caspienne (et non pas les réserves d'eau comme prétend l'Azerbaïdjan). Aliyev le sait ainsi que les Occidentaux et qui sont inquiets, puisqu’ils
dépendent en partie du pétrole et du gaz azéri.
Par la voix de leur ministre de la Défense, les Azerbaïdjanais ont agité la menace d’envoyer
un missile sur la centrale nucléaire de Metsamor près d’Erevan. Alors que la première
hypothèse semble réaliste (cf. « La pensée stratégique arménienne » de Jean Dorian in "Europe & Orient" n° 29, décembre 2019), faire sauter une centrale de type
Tchernobyl en Arménie, qui se trouve à quelques dizaines de
kilomètres des frontières turque et géorgienne
semble peu probable.
Sauf si Dr Folamour du Caucase décide,
par désespérance, de passer la ligne rouge.