lundi 23 novembre 2020

Pour une pensée stratégique arménienne (I)

Pour une 

Pensée Stratégique Arménienne (I)

Nous sommes en train de panser nos plaies après cette défaite dans la guerre d’Artsakh, entérinée par un cessez-le-feu trilatéral entre l’Arménie, l’Azerbaïdjan et la Russie. Pour autant, nous n’avons pas cessé de réfléchir à l’avenir, ce qui fait partie de notre travail à l’Institut Tchobanian.

Notre projet de publier un livre collectif sur la « Pensée stratégique arménienne » que nous avions lancé il y a quelques mois est une piste sur laquelle nous travaillons.

Nous avons perdu 29 ans après l’indépendance. Il est grand temps de sortir de notre posture victimaire et d’ébaucher une stratégie à court et moyen terme au lieu de chercher des boucs émissaires.

Dans cet esprit, il faut aussi, pensons-nous, réorienter la mission du Fonds Arménien (FA). Bien sûr nous avons donné et nous continuerons à donner ces jours-ci, puisque, encore une fois, on est dans l’urgence, la situation n’ayant pas été anticipée et ses conséquences, sans doute très lourdes, ne pouvant avant longtemps être mesurées.

Sauf erreur de notre part, l’argent récolté par le FA est investi in fine selon les décisions prises par Himnatram d’Arménie (sauf peut-être pour certains projets dédiés). La confusion politique créée au lendemain du cessez-le feu ne facilitera pas la conception d’une stratégie pour le pays à moyen terme. C’est à nous, les responsables de la Diaspora, d’apporter toute notre aide vigilante et notre capacité de propositions.

Il y a une dizaine d’années, nous avions posé la question de la sécurité (et donc de la pérennité) des projets en Artsakh (notamment en dehors de l’oblast). Or aujourd’hui, nous constatons que beaucoup d’investissements n’auront servi à rien, tombant dans les mains des Azerbaïdjanais. Sans garantir la sécurité et la pérennité d’un territoire, y construire revient à bâtir sur du sable.

Sans une Arménie et Artsakh (ou ce qu’il en reste) sanctuarisés, les aides financières apportées par le FA vont tomber dans le tonneau des Danaïdes.

La Diaspora a une puissance économique et le FA est un vecteur pour utiliser cette puissance comme un levier pour imposer le respect de certaines règles. Nous pensons, par exemple, aux statuts de l’UFAR (Université française en Arménie) élaborés sous l’égide de l’ambassadeur Henry Cuny dans les années 2000. Il avait instauré des bases solides qui, depuis 20 ans, garantissent son bon fonctionnement, empêchant, notamment, la corruption et toute entorse à la déontologie universitaire, permettant ainsi d’attribuer des diplômes crédibles et valorisants et de fournir à l’Arménie jusqu’à ce jour plus de 2000 cadres de très haut niveau qui sont le meilleur atout de son avenir.

De la même manière le FA a déjà une base statutaire solide, inspirant confiance et efficacité notamment en matière de lutte anti-corruption. Nous pensons néanmoins qu’il manque un volet géopolitique au FA pour l’accompagner dans ses projets économiques ou humanitaires. Comme nous le redisons souvent, que l’on veuille ou non, la politique et la diplomatie priment sur tout. On ne pourra donc faire l’impasse sur l’évolution de la situation politique du pays et sur la continuation de l’approfondissement démocratique qui se dessinait avant l’agression militaire.

Sans s’immiscer dans la politique intérieure, il convient de prendre conscience que celle-ci ne saurait instaurer un plafond de verre au-dessus de toute action associative, au risque de la rendre inopérante.

Le FA a un atout non négligeable à cet égard : étant indépendant des partis politiques, il peut rassembler une plateforme géopolitique (scientifique, non polluée par des idéologies du passé) pour participer à une réflexion sur une ligne directrice pour l’avenir de l’Arménie pour le moyen et le long terme. Nous faisons cette offre au ministère des Affaires étrangères d’Arménie depuis la création de l’Institut Tchobanian il y a 16 ans. Elle semble plus que jamais d’actualité.

Nous devons cesser de rejeter la faute sur les autres et comprendre pourquoi parmi les deux peuples ayant subi un génocide au 20e siècle il y en a un qui a gagné un territoire (aujourd’hui sanctuarisé) et l’autre qui a perdu des territoires et si cela continue risque même (une énième fois) d’être rayé de la carte. Poser un diagnostic, trouver les remèdes et les appliquer. Voici, nous le pensons, la piste à explorer. Sinon, comme Sisyphe, nous serons obligés sans cesse de construire ce qui sera détruit par nos ennemis héréditaires. Cela peut affecter aussi dans l’avenir les sommes récoltées par le FA, une attitude résignée « à quoi sert tout ça » semant le doute dans l’esprit des donneurs.

Agissons maintenant, pour ne pas être obligés de réagir à l’avenir dans l’urgence.

 

Varoujan Sirapian

Président fondateur

Institut Tchobanian

15.11.2020

Article paru dans Nor Haratch

jeudi 19 novembre 2020

Revue Europe & Orient n°31

Entre Civilisation et Barbarie

E&O n°31 - EAN 9782376040446, Éditions Sigest, 12 €

Les abonnés la recevront dès le 7 décembre 2020
Disponible dans les librairies en ligne à partir du 15 décembre 2020

https://www.lalibrairie.com/
Fnac.com, Decitre.fr, Amazon.fr


Sommaire

Virus et anticorps de la démocratie et du totalitarisme                                                     

Henry Cuny

Les leçons d’une guerre                                                                                                   

Varoujan Sirapian

Artsakh : la défaite des valeurs démocratiques                                                              

Laurent Leylekian

Le dernier rempart de la civilisation                                                                             

Charalambos Petinos

Le conflit Arménie/Azerbaïdjan                                                                              

Éric Denécé

La victoire ou l’exode                                                                                                        

Gérard Guerguerian

Israël-Azerbaïdjan : l’axe du mal !                                                                                         

Étienne Pellot

Le Haut-Karabakh et la gouvernance internationale                                                      

Guillaume Berlat

La Grèce face au coronavirus                                                                                          

Christophe Chiclet

L’Affaire Navalny                                                                                                           

Héléna Perroud

L’expérience arménienne: une leçon pour l’Europe?                                                                   

Laurent Leylekian

Où va la Turquie d’Erdogan?  

Charalambos Petinos

Poutine « achève » le Sultan !                                                                                            

Pars Today

Sale temps pour le «sultan »                                                                                              

José-Manuel Lamarque

Turquie : un discours de génocide                                                                         

Hamit Bozarslan

Il y a 100 ans, la Turquie viole le traité de Sèvres                                                                 

Henri Temple

Regard de juriste sur le conflit du Haut-Karabakh                                                                                           

Henry Cuny

In memoriam…                                                                                                                  

Jean Dorian

L’Arménie, haut lieu sacré de la Bible                                                                              

Tony S. Kahve

La reconnaissance de la République d’Artsakh                                                            

Hovhannès Guevorkian

La fin de l’hégémonie américaine                                                              

Alain Corvez

Les raisons inavouées de l’élan français vers le Liban                                           

Walid Charara

Les institutions au service des peuples                                                                           

Valérie Bugault

La répression en Médicocratie                                                                                       

Juan Corresco

L’église catholique et le culte musulman                                                                   

Annie Laurent

Prenons de l’altitude !                                                                                                

Stéphanie Bignon

 



jeudi 5 novembre 2020

Lettre des alumni de l'UFAR au président E. Macron

Lettre des alumni de l'UFAR au président E. Macron


Association UFAR Alumni

10 rue David Anhaght

0037 Erevan - Arménie

Erevan, le 4 novembre 2020

Monsieur le Président,

Nous, les alumni de l’Université française en Arménie (UFAR), avons été formés par la France, qui, par le biais de l’UFAR, investit dans la jeunesse arménienne. Cette même jeunesse qui, aujourd’hui, se fait tuer par l'Azerbaïdjan.

Depuis le 27 septembre 2020, les Arméniens font face à une agression sans précédent, lancée par les dirigeants politico-militaires de l’Azerbaïdjan avec le soutien direct de la Turquie. Cette agression a lieu en pleine pandémie de Covid-19, alors que l’Organisation des Nations Unies avait appelé à un cessez-le-feu mondial. Cette guerre s’accompagne de violations flagrantes du droit international : les forces azerbaïdjanaises prennent délibérément pour cible des établissements civils, notamment des écoles et des hôpitaux, tout en utilisant des armes proscrites par le droit international, à savoir des armes à sous munition et des munitions au phosphore. Cette guerre porte les germes d’une crise démographique, économique, sanitaire, ainsi que d'une émigration massive.

A ce jour, mille cent soixante-dix-sept de nos compatriotes dont quatre jeunes représentants de la communauté ufarienne sont tombés héroïquement au combat. Parmi les populations civiles, cette guerre a déjà fait quarante-six victimes et cent quarante et un blessés. A ce décompte funeste s’ajoute celui des vingt-quatre mille enfants actuellement privés de leur droit à l'éducation suite aux bombardements de plus de soixante-dix établissements scolaires au Karabakh.

Monsieur le Président, vous avez été le premier dirigeant étranger à dénoncer l’implication de combattants terroristes étrangers dans ce conflit et à pointer l’absence de justification aux premières frappes parties d’Azerbaïdjan le 27 septembre. Nous saisissons cette occasion pour vous remercier d’avoir fait entendre ces vérités basées sur les faits. De fait, la population pacifique de l'Arménie et du Karabakh n'avait aucune intention de faire la guerre et ne souhaite aucunement la poursuivre. Nous ne souhaitons qu’une chose : vivre et créer pacifiquement sur nos terres ancestrales. Malheureusement l’agresseur, qui a rompu à trois reprises le cessez-le-feu conclu grâce aux efforts des coprésidents du groupe de Minsk, rejette tout règlement pacifique et conjugue ses attaques avec un discours de haine envers les Arméniens.

En 1915 quand un crime terrible fut commis contre notre peuple, la France a accueilli les rescapés du génocide. Nous n’oublions pas le sauvetage par la Marine française de quatre mille quatre-vingts douze Arméniens retranchés depuis cinquante-trois jours sur le Musa Dagh. Nous n’oublions pas non plus qu’en 1988, suite au tremblement de terre dévastateur qui frappa l’Arménie, la France aux côtés de Charles Aznavour s’est mobilisée pour venir en aide aux populations des zones sinistrées. Tous ces épisodes ont marqué l’histoire des relations entre nos deux peuples et nous croyons qu’une nouvelle page de l’amitié franco-arménienne est en train de s’écrire. Les collectivités locales françaises et les Arméniens de France fournissent déjà une aide humanitaire aux populations touchées par le conflit et une aide gouvernementale a été annoncée dans la presse. Nous remercions toutes les personnes mobilisées pour ce travail important.

Nous croyons fermement aux valeurs de la démocratie et aux droits de l'homme que la France défend et qui nous ont été enseignés à l’UFAR. Nous attendons à présent de la communauté internationale et de la France plus particulièrement que tout soit mis en œuvre pour empêcher que ces valeurs soient de nouveau bafouées.

Aussi, la communauté des alumni de l’UFAR vous prie,

  • d’user de l’ensemble des moyens à la disposition de votre gouvernement pour mettre fin aux opérations militaires et à l’ingérence agressive de la Turquie ;
  • de veiller à l’application des mesures prévues par le droit international contre les États qui utilisent des groupes terroristes et qui violent le droit humanitaire international, y compris, mais sans s'y limiter, par l’emploi de la torture et le meurtre de prisonniers de guerre, les décapitations de soldats tombés au combat (par analogie avec les pratiques de Daesh), les bombardements massifs de cibles civiles, notamment d'écoles et d'hôpitaux et l'utilisation de munitions interdites ;
  • de considérer le droit à l'autodétermination du peuple du Haut-Karabakh, sur la base d'une sécession réparatrice, comme la seule garantie possible pour assurer son droit fondamental à la vie.

Enfin, Monsieur le Président, nous souhaitons vous présenter nos plus sincères condoléances à la suite des attentats qui ont frappé la France. Nos pensées sont avec les proches des victimes et avec ce peuple de France que nous aimons.

Confiants dans votre implication, nous vous prions d'agréer, Monsieur le Président, l'expression de notre très haute considération.


Les membres 
de l’association UFAR Alumni

 

 

Son Excellence Monsieur Emmanuel Macron

Président de la République française

Paris - France