Reuters cache les crimes des "rebelles" en Syrie
de Bahar Kimyongür
3 décembre 2012
Le 16 juin 1979, un commando proche des Frères
musulmans syriens fait irruption dans une caserne de l’armée de l’air à
Alep où soldats sunnites, alaouites et chrétiens partagent les mêmes
chambrées. 83 cadets alaouites identifiés comme tels sont séparés de
leurs autres camarades par leurs bourreaux puis froidement exécutés.
Dans cet épisode tragique de l’histoire
syrienne, la seule appartenance confessionnelle a motivé l’application
de la peine de mort. Trois décennies plus tard, des provocateurs
inspirés par les mêmes thèses sectaires détournent la légitime
contestation populaire antibaassiste vers l’alaouite, un bouc émissaire
tout désigné qui, depuis un millénaire, alimente suspicion et fantasmes.
Mais cette fois, les alaouites sont victimes d’une
campagne d’extermination systématique et à grande échelle. À un point
tel que les hommes faits prisonniers par les rebelles jurent ne pas être
alaouites pour échapper à leur sort. Un « détail » qui a échappé à l’agence de presse britannique Reuters à Ras Al Ain.
Dans les pays régis par des États
traditionnellement hostiles au gouvernement de Damas, la nature sectaire
de l’insurrection qui a éclaté à Deraa il y a vingt mois a été ignorée
et remplacée par une lecture rassurante voire mystique du conflit
assimilant le régime de Damas au mal absolu et la rébellion à son exact
contraire. Il y a quelques jours, l’agence de presse britannique Reuters
a contribué à maintenir le flou autour des réelles motivations de la
rébellion armée en commettant une grossière erreur de traduction.
Dans l’une de ses dépêches reprises sur le site Internet du journal 20 Minutes du 30 novembre 2012, Reuters écrit ceci :
« Un rebelle syrien
s’est semble-t-il filmé en train d’exécuter des prisonniers désarmés. La
vidéo, mise en ligne sur le site YouTube, a été tournée au moyen d’une
caméra apparemment fixée sur son arme. On y voit dix hommes en tee-shirt
blanc et treillis, couchés face contre terre. L’un d’eux dit d’une voix
suppliante qu’ils sont pacifiques, se lève et se dirige vers la caméra.
Sur la bande son, on entend alors une détonation puis on voit cet homme
retourner à sa place, un bras ensanglanté. La suite de la vidéo montre
l’exécution des dix prisonniers. »
A première vue, ce passage ne semble
guère polémique. Mais après consultation de la vidéo qui se rapporte aux
faits décrits par Reuters ( http://www.youtube.com/watch ?v=sWCTshHVCmI ), on remarque immédiatement que les soldats qui supplient leurs bourreaux disent non pas être « selmiye » (pacifiques) mais « sinniye » (sunnites).
L’adhésion au sunnisme devient ainsi expression de repentance dans la bouche des condamnés.
L’un d’entre eux lance même en désespoir de cause : « Je vous jure par Allah que je suis un sunnite de Deraa » (1 min. 21 sec. et 1 min. 28 sec) …
La confusion entre le mot « pacifique » et « sunnite » de la part d’une agence de presse comme Reuters est pour le moins troublante, notamment d’un point de vue purement logique.
En effet, même sous l’effet de la peur
et du désespoir, on voit mal pourquoi ces prisonniers tenteraient de
convaincre leurs bourreaux d’être « pacifiques »
alors que visiblement, leur âge, leur présence en zone militaire (le
site est dominé par un mirador que l’on aperçoit après 1min. et 55 sec.)
et la tenue de la plupart d’entre eux indiquent bien qu’ils sont
militaires.
En se déclarant sunnites, ils espèrent
pouvoir obtenir une grâce de la part de leurs bourreaux du Front Al
Nosrah, la branche syrienne d’Al Qaïda (l’exécution est revendiquée en
fin de vidéo).
Mais à leur grand malheur, aucune parole
ne semble apaiser la colère des djihadistes. De ces prisonniers, les
rebelles ne feront aucun prisonnier.
Si cet épisode sanglant peut paraître
banal voire mineur au regard d’autres horreurs commises en Syrie,
l’argument auquel se raccrochent désespérément les militaires capturés
mérite une attention particulière dans la mesure où il est révélateur de
la terreur sectaire que fait régner l’insurrection.
Chaque jour, des Syriens sont assassinés par les rebelles parce qu’ils n’ont pas la « bonne » confession, en particulier les alaouites.
Partisans ou opposants au régime de
Damas, tous les Syriens le savent. En revanche, les observateurs
occidentaux préfèrent taire ou minorer cette réalité pour « ne pas faire le jeu du régime ». Et justement, « ne pas faire le jeu du régime » est devenu la devise et l’étendard de la guerre psychologique menée contre Damas.
Loin de toute considération
stratégico-idéologique, le jour de la publication de la dépêche Reuters
controversée, un opposant syrien de la ville de Hassaké interviewé par
l’agence de presse catholique Fides ayant requis l’anonymat a lui aussi constaté le caractère confessionnel et sectaire de la rébellion armée :
« Les alaouites ont subi le sort le plus dramatique : tués parce qu’alaouites. » reconnaît-il.
Et d’ajouter : « L’une
des victimes étaient un instituteur qui a beaucoup aimé la ville et a
instruit pendant de nombreuses années les enfants de toutes les
familles. Des miliciens l’ont cherché, pris et tué devant son épouse et
ses enfants qui ont été pris en otage. »
Les témoignages de ce genre qui
attestent qu’un génocide anti-alaouite est en cours nous parviennent
tous les jours de Syrie. Ils sont totalement accessibles à ceux qui
veulent bien les voir et les entendre. Pour peu que les agences de
presse comme Reuters veuillent bien les reproduire avec l’honnêteté et
la rigueur requises.
Bahar Kimyongür
Investig’Action, 3 décembre 2012.
Investig’Action, 3 décembre 2012.
Bahar Kimyongür est l’auteur de Syriana, la conquête continue, Ed. Couleur Livres & Investig’action, 2011 et porte-parole du Comité contre l’ingérence en Syrie - CIS.