De Gaza au brasier syrien via les Nations Unies et New-York
Léon Camus
vendredi 7 décembre 2012source : http://www.geopolintel.fr/article566.html
Que se passe-t-il au Proche-Orient ? À
l’évidence d’impressionnants événements se succèdent ces derniers jours
à un rythme soutenu, sans qu’ils soient pour autant parfaitement
lisibles. Certains sont déconcertants ainsi l’arrêt abrupt de
l’offensive israélienne « Colonne de nuées 1 »…
Habituellement les Israéliens retardent les négociations, les font
traîner en longueur autant que possible afin d’engranger le maximum de
gains sur le terrain et de causer à l’ennemi les plus lourds préjudices
possibles. Nous avons par exemple assisté en août 2006 à la fin de la
guerre contre le Liban, à une très laborieuse sortie de crise. Là, rien
de semblable, les bombardements ont cessé comme par enchantement alors
même que Tsahal avait sonné le rappel de 75 000 réservistes ! Le simple
bon sens dit assez que l’on ne procède pas à une mobilisation d’une
telle ampleur sans avoir planifié l’opération sur la durée et dans la
profondeur du territoire ennemi. Non pas évidemment pour rendre les
armes le jour suivant.
Des événements ébouriffants, inédits et surprenants
Le 21 novembre, après « huit jours de bataille »,
l’affrontement asymétrique cessait. Le lendemain les brigades d’Al Qods –
nom arabe de Jérusalem - remerciaient l’Iran pour son aide militaire et
financière et le soutien politique de l’Égypte. À ce propos, la grande
presse applaudissait chaleureusement la médiation du président égyptien
Morsi sans relever cependant quelques faits remarquablement inédits :
pour la première fois Israël acceptait - même indirectement - le
« dialogue » avec le Hamas, lequel de facto reconnaissait
implicitement l’entité hébreu - on ne parle pas avec le non-existant
n’est-ce pas ? - ce qu’il n’avait jamais fait jusque là ! À bien y
regarder il est patent que les choses ne se sont pas faites toutes
seules et qu’un tiers est discrètement intervenu…
Justement au soir du 20 nov. au septième jour de l’offensive, alors
qu’une trêve paraissait imminente mais que les pilonnages israéliens
redoublaient - un premier et unique soldat hébreu ayant été atteint une
roquette sur le sud d’Eretz Israël contre, à l’arrivée, quelque 160
victimes dans le camp palestinien - la Secrétaire d’État américaine
Hillary Clinton s’entretenait à Jérusalem avec le Premier ministre
Benjamin Netanyahou réitérant devant les caméras « l’inébranlable engagement » des États-Unis à garantir la sécurité du pays mais ajoutant mezzo voce : « Je pense qu’il est essentiel d’obtenir une désescalade de la situation à Gaza »… ceci avant de faire le go-between
en se rendant le lendemain en Cisjordanie auprès du président Mahmoud
Abbas. La messe était dite, le cessez-le-feu intervenait moins de
quarante-huit heures plus tard. Du jamais vu… Pourtant, ne nous hâtons
pas de voir dans cette relation de cause à effet la preuve de l’innocence
d’Israël dont la politique délétère lui serait ou aurait été, partout
et toujours, dictée depuis Washington par les grands méchants prédateurs
Wasp [White anglo-saxon protestants]… au final seuls vrais responsables
- pour d’obscurs motifs – et perpétuels coupables de l’indéfinie
prolongation du conflit israélo-palestinien. En tout cas c’est ce que
certains essaient, avec une certaine persévérance, de nous faire
accroire.
Toujours est-il que M. Netanyahou a certainement dû manger son
chapeau et faire face à un feu roulant de critiques tandis que la
censure militaire interdisait la diffusion de toute information un peu
circonstanciée relative à l’Opération « Colonne de nuées », ses suites
et ses résultats. Au sein du Likoud la crise était ouverte conduisant le
27 nov. le ministre de la Défense Ehud Barak à démissionner. Les médias
resteront à ce propos d’une discrétion exemplaire sur les cause et les
conditions de cette retraite anticipée en dépit des soixante-dix ans de « l’homme le plus décoré d’Israël » !
À Jérusalem les dirigeants judéens s’efforçaient de sauver la face en
se vantant d’avoir rempli, et au-delà, tous les objectifs assignés à
l’assaut lancé contre Gaza 2… lequel de ce fait pouvait ou devait naturellement s’achever !
À Gaza le Hamas de son côté commentait sans surprise la démission d’Ehud Bak comme la preuve irréfragable de « l’échec politique et militaire »
d’une offensive figée en plein élan. On percevra plutôt quant à nous,
dans l’arrêt soudain des hostilités, l’effet d’un ordre péremptoire venu
– une fois n’est pas coutume – de Washington. La Maison-Blanche ayant
dans cette crise montré son savoir-faire en matière de « stay behind », de pilotage de crise à distance ou de derrière le rideau.
Tout le bénéfice de la négociation expresse en est donc revenu au
président égyptien Morsi, les projecteurs médiatiques concentrés sur les
négociateurs rejetant dans l’ombre la Secrétaire d’État américaine qui
sur ordre de la Maison-Blanche avait tordue la main du Likoud pour lui
faire lâcher prise. Et nous verrons in fine pour quelles impérieuses
raisons…
La Palestine « État observateur non membre permanent » des Nations Unies
D’autres événements marquant une rupture étaient par contre plus ou
moins plus attendus, tel l’accès pour la Palestine au statut d’État observateur non membre permanent 3
des Nations Unies le 29 novembre. Fait par ailleurs moins prévisible
mais excessivement significatif d’un renversement de tendance, sera le
volte-face, du jour au lendemain de la diplomatie française… En effet,
pour ce qui concerne le petit facteur (nous n’avons pas écrit « petit
farceur ») français, le 18 nov. en pleine offensive israélienne sur
Gaza, M. Fabius rencontrait à Ramallah M. Abbas, président de l’Autorité
palestinienne afin de lui demander instamment de renoncer à présenter
le 29 nov. sa requête à l’Assemblée générale des Nations Unies en vue
de faire reconnaître la Palestine comme membre de la Communauté des
Nations. La démarche du factoton élyséen se vit opposer une fin de non
recevoir. Les considérations techniques style « le moment n’est pas le plus opportun »
rencontrèrent une ferme opposition de principe. Quelques heures plus
tard, à Jérusalem, M. Fabius dépité rendait compte de l’échec de sa
mission au principal intéressé, le Premier ministre israélien,
M. Netanyahou. Dont acte.
Le lendemain de son retour à Paris, le mardi 20 novembre, M. Fabius sortant d’un déjeuner avec Mme Clinton,
donnait une conférence devant la presse étrangère. Conférence au cours
de laquelle le ministre français des Relations extérieures laissait
clairement entendre que la France pencherait pour l’abstention. Position
qui était le choix affiché du président Hollande, celui-ci insistant
régulièrement sur les « risques de mesures de rétorsion américaines
et la crainte que la demande palestinienne ne favorise pas l’ouverture
de négociations directes entre Palestiniens et Israéliens ».
M. Hollande avait raison. Mais il se trompait d’acteur ! Au lendemain
du vote de l’Assemblée générale, M. Netanyahou mauvais joueur,
annonçait la reprise de la colonisation de la Cisjordanie avec la
construction de 3000 nouveaux logements en Cisjordanie, notamment à
Jérusalem Est. En sus, le blocage sine die de la réversion des
droits de douanes palestiniens essentiel à la survie de l’embryon
d’État. Décisions navrantes ruinant tout espoir de reprise d’un
quelconque dialogue, qui valu – une fois n’est pas coutume - au
représentant israélien en France d’être convoqué au Quai d’Orsay afin de
transmettre à M. Lieberman - l’homologue israélien de M. Fabius - une
demande de « renoncement » à ce projet de « construction ».
On connaît la réponse : M. Netanyahou n’entend pas tenir compte du
moindre desiderata franco-européens, souhaits aussi respectueusement
formulés soient-ils dont il n’a cure. Qui en vérité eu attendu une
attitude contraire ? Reste que l’attitude française rompt malgré tout
d’avec son habituel laxisme ou suivisme en un tel domaine. Serions-nous,
tout à coup, moins à la remorque ? Convenons que la position de Paris a
été en grande partie dictée par une évaluation réaliste du rapport
existant entre ceux qui soutiennent l’État hébreu et ceux qui le
désavouent pour ses continuelles transgressions de la légalité
internationale. Un désaveu qui allait s’exprimer à travers l’écrasante
majorité accordant l’admission formelle de la Palestine à la Communauté
des Nations, cela tout en isolant les États « parias » qui allaient s’y opposer contre toute raison et toute morale.
Notons qu’en réponse au revirement français, la réponse de Tel-Aviv ne s’est pas faite attendre : le 4 déc. JSSNews.com, webzine israélien francophone lançait une virulente campagne – pétition à l’appui – de « mobilisation
visant à demander au gouvernement israélien d’expulser de la capitale
du pays, le Consul Général de France à Jérusalem. Frédéric Desagneaux,
de son nom [qui possède également] le statut d’Ambassadeur pour la Palestine ».
Joignant le geste à la parole une manifestation était illico organisée
qui prévoyait de réunir quelques milliers d’exaltés… cela à l’appel d’un
site qui en toute logique – parce qu’il appelle à la sédition – devrait
se voir en France pénalement sanctionné… « Après l’affront sans précédent hier de la diplomatie française envers l’État d’Israël [la convocation au Quai d’Orsay relative à la reprise de la colonisation]et
les atteintes répétitives à la souveraineté d’Israël par le Consulat
général de France à Jérusalem qui se comporte dans la capitale d’Israël [la capitale légale en droit international étant en réalité Tel-Aviv] comme
s’il s’agissait d’un État terroriste arabe se dénommant
« Palestine », nous protesterons à 16H mercredi 5 décembre devant le
Consulat de France à Jérusalem. Nous, citoyens israéliens originaires de
France, nous demanderons du Gouvernement israélien qu’il déclare comme
Persona non Grata le Consul général de France Thierry Desagneaux et
qu’il l’expulse sur le champs de notre pays bien-aimé ». Amen.
Pourquoi de tels changements dans la diplomatie franco-européenne ?
Poursuivons notre chronologie de ces quelques jours qui ébranlèrent
nos plus solides convictions quant à la conduite des Affaires
occidentalistes au Proche-Orient. Au demeurant n’allons pas trop vite en
besogne. Il y a peu de chances pour que M. Obama ait soudain conçu le
désir de mériter enfin son « Nobel de la Paix ». Les mobiles profonds
qui dictent sa conduite sont assurément d’une toute autre nature.
Bref, l’exact lendemain de sa rencontre avec la Secrétaire d’État
américaine, le ministre français des Affaires étrangères annonçait
l’intention d’un vote positif de la République en faveur de la
Palestine… sachant que le vote français détermine celui d’un certain
nombre d’autres chancelleries européennes… l’Allemagne s’abstiendra,
seuls dans l’Union le Royaume-Uni, la Tchéquie voteront « Non » ! On
pressent ici - à l’occasion de cet inopiné changement de cap
diplomatique - que la décision n’a pas été prise à l’Élysée, ni au Quai,
pas même à Bruxelles. La décision est venue d’ailleurs, certainement de
Washington à l’occasion du déjeuner en comité très restreint déjà
mentionné. A priori, M. Fabius n’a au fond rien à refuser à Mme Clinton dont il est un « groupie » et à qui il mange littéralement dans la main :
n’annonçait-il pas dans « Le Point » du 22 novembre son futur soutien à
la candidature en 2016 de la susdite à la présidence des États-Unis ?
« C’est une femme remarquable, exceptionnellement intelligente. Quand
elle entre dans une pièce, elle incarne et impose l’autorité, même avec
des hommes, même avec Barak Obama ».
Le 27 novembre soit deux jours avant le vote des NU, Laurent Fabius
justifiait plus précisément, devant les députés français, son
tête-à-queue diplomatique et ce, avec un aplomb magistral et une
mauvaise foi consommée : « Ce vote, nous allons le faire avec
cohérence et lucidité. Vous savez que depuis des années et des années,
la position constante de la France a été de reconnaître l’État
palestinien. C’est la raison pour laquelle jeudi ou vendredi prochain,
quand la question sera posée, la France répondra Oui ». Étayant la
nouvelle position française – cela ne manque pas de sel ! – par le vote
positif en octobre 2011de la présidence Sarkozy en faveur l’entrée de
la Palestine à l’Unesco… Et, pour faire bonne mesure, en se référant sur
l’engagement pré-électoral de M. Hollande d’obtenir la reconnaissance
internationale d’un État palestinien, cela dans le droit fil de la
position adoptée par feu Mitterrand dès 1982 [AFP 27 nov]. Ah mais !
Jeux de miroirs, jeux de dupes
L’on comprendra que Washington ait exprimé du bout des lèvres son
« désaccord » avec la France - double langage et répartition des rôles
obligent ! - en déclarant avec retenue son « opposition à toute prise
de position à l’Assemblée générale qui de notre point de vue rendrait
la situation encore plus compliquée » [AFP 27 nov] À Jérusalem le
ton était moins amène, le Premier ministre Netanyahou y dénonçait avec
la virulence de l’orgueil blessé l’intervention du Palestinien Abbas
devant l’Assemblée des Nations Unies : « Le monde a entendu un
discours diffamatoire et venimeux rempli de propagande fallacieuse
contre l’armée israélienne et les citoyens d’Israël. Quelqu’un qui veut
la paix ne parle pas comme cela… La décision de l’Onu ne changera rien
sur le terrain. Il n’y aura pas d’État palestinien sans arrangements
garantissant la sécurité des citoyens d’Israël… En présentant leur
demande à l’ONU, les Palestiniens ont violé leurs accords avec Israël,
et Israël agira en conséquence ».
Une allusion limpide aux accords d’Oslo de 1993, lesquels
envisageaient « la création d’un État palestinien comme résultant de
négociations de paix directes israélo-palestiniennes » et non issue
d’une initiative unilatérale. Reste que personne au cours de la seconde
moitié du XXe siècle, n’a jamais vu
les Israéliens conclure des pourparlers sans les remettre aussitôt en
question, leur règle en la matière semblant être que « tout accord
conclu fait automatiquement l’objet d’une renégociation en gros et en
détail » !
Illustrant cette règle d’or - le prétexte était trop beau pour n’être
pas aussitôt saisi - le chef de la diplomatie israélienne, Avigdor
Lieberman et son vice-ministre, Danny Ayalon se sont empressés d’avertir
– de menacer ? - la Communauté internationale qui « une fois de plus
a fait la preuve de son irresponsabilité… qu’aujourd’hui, nous ne
sommes plus tenus par nos accords avec les Palestiniens, et nous agirons
uniquement en fonction de nos intérêts... La poussière doit s’accumuler
sur le discours d’Abbas ». La force et l’arrogance se concentrant
sur une seule des deux parties, celle-ci a maintenant beau jeu d’en
faire à sa guise : certes le nouvel État palestinien existe désormais,
mais seulement sur le papier parce que territorialement il s’agit d’une
toute autre paire de manches ! La colonisation israélienne a en effet
créé l’irréversible : la cannibalisation extensive du territoire
palestinien avec 600 000 colons actuellement implantés en Cisjordanie.
De sorte que revenir à présent en arrière apparaît comme une mission
désespérément impossible. Le président Abbas aura par conséquent beau
dire et beau faire, son discours à la tribune des Nations Unies ne
changera rien à la mauvaise donne actuelle : « Le moment est venu pour le monde de dire clairement : assez d’agression, d’implantations et d’occupation » ! Oui, mais comment ? La seule solution qui aurait pu s’avérer viable étant celle - peut-être ? - d’un seul État pour deux Peuples. Mais le fanatisme religieux l’empêchera. Que faire ?
Une lueur d’espoir, l’aube d’une ère nouvelle ?
Finalement, demandons-nous si les oukases venus de Washington
pourraient annoncer une révision de la politique proche-orientale des
États-Unis ? Les enthousiastes, les croyants, se sont en effet derechef
engouffrés dans la brèche. Obama qui n’a plus rien à perdre – pas de
réélection possible pour un troisième mandat – devrait maintenant
pouvoir donner sa mesure et remettre Israël à la place qui eût dû être
la sienne depuis longtemps. Son mentor Zbigniew Brzezinski n‘a à ce
propos pas mâché ses mots « les États-Unis ne suivront pas Israël comme une mule stupide 4 » [« US won’t follow Israel ’like a stupid mule »
rt.com/usa 29 déc]. Un langage particulièrement nouveau, mais à
entendre dans le contexte d’annonces réitérées de frappes hébreux sur
l’Iran.
La Maison-Blanche de toute évidence n’est plus décidée à se laisser
entraîner dans une nouvelle aventure militaire, entendant selon toute
apparence se « désengager » progressivement d’un Proche-Orient à
l’égard duquel sa dépendance énergétique devrait diminuer au fur et à
mesure que seront mis en exploitation ses propres gisements pétroliers
en mer profonde, ceux aussi de ses sables bitumineux et ses gaz de
schistes.… l’Amérique se voyant déjà comme un nouvel eldorado pétrolier
définitivement affranchi des approvisionnements en provenance du Golfe
arabo-persique. Reste que cela n’est pas si simple et ce nouveau facteur
– l’autonomie énergétique potentielle annoncée des États-Unis – ne
signifie pas pour autant renoncement au contrôle d’une région d’intérêt
géostratégique crucial…
Cet ensemble d’éléments, pour intéressant qu’ils soit, ne suffit
évidemment toujours pas à expliquer pourquoi un commandement brutal,
arrivé de Washington, a intimé l’ordre au gouvernement israélien de
mettre fin sans délais à l’offensive sur Gaza… ni qu’il ait pu être
suivi d’effet aussi vite. Un acte, répétons-le, en totale contradiction
avec tout ce qui s’était vu jusqu’à présent, sauf réorientation absolue
de la diplomatie armée américaine. Une hypothèse qui ne séduira que les
optimistes invétérés.
Israël/États-Unis, des « agendas » divergents
Et bien gageons très simplement que les « agendas » israélien et
américain ne coïncidaient plus. Les Hébreux veulent forcer le passage et
préparer le terrain pour une attaque de l’Iran… Gaza en étant la
première étape, puis Beyrouth où, après le Hamas, il conviendrait de « casser les reins aux Hezbollah 5 ».
Ce nettoyage préalable effectué, la voie deviendrait libre pour s’en
prendre à Téhéran. Cela peut-être dès après les législatives
israéliennes de janvier prochain. La vox populi s’étant exprimée et
M. Netanyahou ayant été reconduit dans ses fonctions de Premier ministre
avec une légitimité - espère-t-il – renforcée. Ceci lui permettant
toute les initiatives belligènes, avec ou sans les Américains
contraints ensuite, volens nolens, de suivre. Patatras, ceux-ci ne sont plus d’accord avec ce scénario idyllique parce que Washington entend d’abord régler son compte au régime baasiste de Damas.
De ce point de vue les choses vont excessivement vite. Damas accusé
depuis le 3 déc. de vouloir mettre en œuvre ses armes chimiques, se voit
aujourd’hui menacée d’une intervention directe des É-U qui ont
discrètement – et avec beaucoup d’à propos – concentré ces dernières
semaines des forces navales d’interventions tandis que des forces
spéciales américaines seraient prépositionnées Israël, en sus d’unités
anglo-françaises en Jordanie. La France se préparerait à une
intervention imminente en Syrie [LePoint.fr 4 déc] au sein d’une
coalition multinationale dirigée par les É-U. Coalition comprenant le
Royaume-Uni, la Turquie, « pilier oriental » de l’Alliance atlantique,
et la Jordanie dont le souverain, Abdallah II, bien qu’à moitié Anglais,
est en principe Chérif de la Mecque, le Gardien de lieux saints. Il
fallait aussi prendre les devants et prendre de court les enragés de
Tel-Aviv qui auraient envisagé une attaque des sites d’armes chimiques à
deux reprises au cours du mois de novembre après avoir obtenu l’accord
d’Amman [IsrInfos 4 déc].
Mais à la différence de la Libye de Kadhafi, après des frappes
délivrées au moyen de missiles de croisières, les forces internationales
héliportées devraient engager des opérations terrestres au prétexte
de sécuriser les sites d’entreposage des armes chimiques syriennes. Dans
les faits, cette première vague d’attaques ne devrait être que le
préambule d’une guerre totale et ouverte contre le régime de Damas.
Moscou sera mis devant le fait accompli et s’emploiera, faisant dès lors
la part du feu, à sauver l’essentiel de ses intérêts en Syrie… à
savoir sa base navale de Tartous – son seul point d’appui en
Méditerranée – et la protection de ses cent mille ressortissants
présents sur le territoire syrien. Une intervention qui ne pourrait
qu’apporter du baume sur les plaies morales du Likoud, lequel,
avons-nous dit, s’est vu frustrer de sa guerre contre le Hamas. On
entrevoit ici que le divorce n’est pas tout à fait pour demain entre
Tel-Aviv et Washington, la Maison-Blanche se réservant de garder peu ou
prou la main sur son propre agenda indépendamment du programme
égocentré et exclusiviste de son meilleur allié, qui est aussi, probablement son meilleur ennemi.
Ce même 4 décembre, le Secrétaire général de l’Otan, Anders Fogh
Rasmussen annonçait à Bruxelles, à l’issue de la réunion des ministres
des Affaires étrangères des vingt-huit États membres de l’Alliance
atlantique, que des missiles anti-missiles Patriot fourni par la
République fédérale d’Allemagne, allaient être mis en batterie le long
des 900 km de la frontière syro-turque… Pour arrêter des obus de mortier
sans doute ?! Des armes à longue portée a priori défensives mais
qui peuvent en tout état de cause créer une zone d’interdiction
aérienne sur la majeur partie du nord de la Syrie, permettant la
consolidation d’une poche « libérée » et de bases à partir desquelles l’assaut pourra être lancé dans la profondeur du territoire syrien.
Washington reprend la main : des raisons pressantes
À propos de l’offensive sur Gaza il est temps de conclure. Dans la
perspective d’un conflit ouvert avec Damas, l’affaire de Gaza s’explique
de façon très élémentaire ! Si la priorité de Washington est
effectivement d’en finir avec le Baas syrien et la gouvernance alaouite,
alliée de Téhéran, les Américains ne peuvent s’appuyer à l’intérieur de
la Syrie que sur la seule force politiquement organisée que sont les
Frères musulmans, fer de lance de la rébellion. En outre ceux-ci
incarnent la renaissance de l’Oumma - la Communauté des croyants –
sunnite. Ceux-ci ne sont, de ce fait, pas isolés au sein du monde
arabe : l’Égypte, la Tunisie sont aujourd’hui dirigées par les Frères et
la Turquie néo-ottomane, sunnite également, les soutient avec vigueur.
Or la nécessité d’en finir avec Damas exclut catégoriquement de
s’aliéner les Frères musulmans… auxquels appartient le Hamas. Que les
stratèges israéliens ne se soient pas rendus compte de cette
contradiction – on ne peut faire la guerre à des gens en compagnie
desquels l’ont combat par ailleurs - est proprement consternant.
Gageons pourtant que, à la décharge des gens de Tel-Aviv, Washington
n’avait peut-être pas encore arrêté sa décision, celle de passer à la
vitesse supérieure et d’intervenir urgemment pour liquider le régime de
Damas, quand l’offensive a démarré.
Il faut dire que maintenant le temps presse de faire diversion en
entrant en Syrie car de nombreux nuages s’accumulent dans le ciel
d’Israël… Notamment à l’occasion de cette 67e
session des Nations Unies : recommandation de l’Assemblée générale à
déguerpir du Golan, pris sur la Syrie à l’occasion de la guerre des Six
jours en 1967 et annexé en 1981 [New-York 1erdéc .RIANovosti]. Pire
encore, l’Assemblée générale a en outre appelé l’État hébreu à renoncer
définitivement à faire de Jérusalem sa capitale et à entamer un dialogue
de paix avec les Palestiniens. Une des résolutions réaffirme à ce titre
que « toutes les mesures et dispositions législatives et
administratives prises par Israël, Puissance occupante, qui ont modifié
ou visaient à modifier le caractère et le statut de la ville sainte de
Jérusalem, en particulier la prétendue « Loi fondamentale » sur
Jérusalem et la proclamation de Jérusalem capitale d’Israël, étaient
nulles et non avenues et devaient être immédiatement rapportées » !
Last but not least, le pire du pire, les Nations Unies engage
dorénavant Israël à ouvrir les portes de leurs centres atomiques aux
inspections internationales [AssociatedPress 4 déc]. L’Assemblée
générale ayant massivement approuvé une résolution enjoignant Israël de
se mettre à jour vis-à-vis de la Communauté internationale en matière de
nucléaire civil et implicitement/explicitement militaire. La Résolution
approuvée lundi 1er déc. par un vote
de 174 pour, 6 contre et 6 abstentions, appelle instamment Israël à
adhérer au Traité de non-prolifération nucléaire « sans plus tarder » et « à ouvrir sans restriction ses installations aux inspections de l’Agence internationale de l’énergie atomique ».
Rappelons cependant qu’Israël n’est pas seul à refuser de se soumettre
aux règles de bonne vie commune sur cette question, partageant ce
triste privilège avec trois autres États - l’Inde, le Pakistan et la
Corée du Nord – officiellement détenteurs de l’arme atomique et des
vecteurs afférents.
Observons que les six États s’étant opposés à la normalisation de la
situation nucléaire de l’État hébreu sont comme il se doit Israël
lui-même, les États-Unis, le Canada… les îles Marshall, la Micronésie et
Palau ! Un assemblage pour le moins baroque qui donne la mesure de
l’isolement diplomatique - sur ce dossier - de la superpuissance
américaine. Un vide proprement effrayant que les Européens n’ont pas osé
atténuer en se solidarisant avec Big Sister America. Un
découplage impressionnant et un détramage diplomatique que ne parviendra
pas à masquer très longtemps la médiatisation outrancière des dernières
péripéties de la scène politique égyptienne.
On saisira que dans une telle conjoncture géopolitique de chute
libre, il devînt prioritaire pour le couple américano-israélien d’ouvrir
un front de guerre active en Syrie, entre autres pour rattraper – si
c’est encore possible – l’effondrement du « crédit conjoint »
américano-sioniste intervenu à l’occasion de cette 67e Assemblée générale. Un véritable krach
sur la valeur internationale de l’Amérique monde – et de son acolyte -
qui ouvre au demeurant de bien peu engageantes perspectives d’avenir
pour la paix et la stabilité régionales… mais également globales.
Notes
(1) « Colonne de nuées » – Pilar of Cloud improprement traduit par « Colonne de Défense » – renvoie à Exode chap. 13 verset 21 « L’Éternel
allait devant eux, le jour dans une colonne de nuée pour les guider
dans leur chemin, et la nuit dans une colonne de feu pour les éclairer,
afin qu’ils marchassent jour et nuit » mais également à l’Apocalypse de Jean chap. 10 verset 1 « Je
vis un autre ange puissant, qui descendait du ciel, enveloppé d’une
nuée ; au-dessus de sa tête était l’arc-en-ciel, et son visage était
comme le soleil, et ses pieds comme des colonnes de feu ».
(2)
Les Israéliens ont-ils mis fin à l’opération « Pilar of Cloud » parce
que leurs objectifs avaient été atteints et au-delà comme ils se sont
empressés de le dire ? On les avait connus moins mesurés au Liban sud,
en 2006 lorsqu’après la signature du cessez-le-feu ils larguaient encore
des bombes à sous-munitions par centaine milliers (3 millions de
sous-munitions au total pour toute la durée du conflit). Certains ont vu
dans cette offensive, outre l’élimination physique d’un certains nombre
de cadres du Hamas en vue de le désorganiser, un test grandeur nature
destiné à épuiser les réserves de missiles palestiniens et à éprouver
les capacités du « Dôme de fer » à intercepter les missiles et roquettes
ennemis. Test préalable à d’éventuelles futures opérations contre
l’Iran. Or 80% des projectiles auraient été arrêtés. Mais en cela la
démonstration vaut-elle pour des engins balistiques plus puissants,
arrivant sur leur cible avec une vélocité supérieure ? D’autant que les
roquettes du Hamas et des groupes de résistance sont essentiellement des
armes de guerre psychologiques et médiatiques… fort utile au demeurant
pour présenter aux caméras gourmandes une ménagère éplorée en « état de
choc ».
(3) L’État du Vatican bénéficie également du statut d’État observateur non membre
et à ce titre ne possède pas de droit de vote. Néanmoins cette position
permet à la Palestine de siéger dans tous les groupes et commissions
des Nations Unies et surtout d’ester devant la justice internationale où
elle aura désormais la faculté de demander à Israël de rendre des
comptes pour les nombreux crimes de guerre ou contre l’humanité qu’elle a
commis, commet ou commettra contre le peuple palestinien,
collectivement et individuellement. On comprend que ce simple fait
nouveau puisse mettre en rage des gens jusqu’ici assurés de l’impunité
la plus totale. Jeudi 29 novembre à New-York, l’Assemblée générale des
Nations unies accordait une large majorité de 138 États favorables au
rehaussement du statut de la de la Palestine. Jusqu’ici simple
observateur, la Palestine accède au rang d’« État observateur non membre permanent ».
Seulement neuf États ont voté contre la demande palestinienne dont bien
entendu Israël, les États-Unis, le Canada et… la République tchèque.
Quarante et un pays ont choisi l’abstention.
(4)
Le géopoliticien Zbigniew Brzezinski, conseiller et mentor officieux du
président Obama, récuse les pressions qu’exerce Israël sur la
politique de sécurité des É-U israéliennes en battant les tambours de
guerre à propos de l’Iran. « Washington ne suivra pas aveuglément Tel-Aviv dans le cas où Israël choisirait de frapper unilatéralement l’Iran ». Brzezinski va jusqu’à déclarer qu’il « déconseillera
au président Obama de soutenir militairement une initiative israélienne
de ce type… les É-U n’ayant aucune obligation à suivre comme une mule
stupide tout ce que les israéliens font] ». Déclarations faites à
l’occasion de réunions du « National Iranian American Council » de « l’Arms Control Association ».
(5) L’expression « casser les reins du Hamas » est mentionnée le 6 Août 2012 sur le site « Juif.org » et par la suite sur « IsraëInfos » le 19 nov. dernier : « Israël
ne cherche probablement pas à renverser le Hamas et le bouter hors de
Gaza, mais à lui « casser les reins », à lui infliger des dommages dont
il mettra des années à se remettre, et qui pourrait lui faire perdre le
pouvoir par le jeu des rivalités sur le terrain ».