Nikos Lygeros
Le
génocide n'est pas seulement un acte de barbarie. En tant que crime
contre l'humanité, le génocide est une mesure inhumaine. Il permet de
jauger la société dans laquelle il intervient. Il donne en somme le sens
de l'absurde. Aussi lutter pour la reconnaissance du génocide, c'est
lutter contre l'absurde.
Il faut prouver l'évidence à la manière d'une
démonstration par l'absurde. Il faut montrer que les victimes sont des
victimes, en d'autres termes identifier leur mémoire. Il faut montrer
que les bourreaux sont les bourreaux, en d'autres termes tracer leur
crime. C'est le signe du temps. Et tout cela en restant juste. Car le
juste doit être exemplaire. Évidemment toutes ces contraintes rendent
extrêmement difficile cette tâche et nous ne devons pas nous étonner
quant au découragement de certains. L'important, c'est de saisir que le
temps est avec nous et qu'il travaille pour nous. Car le crime est
imprescriptible. Aussi la conservation des données permet de mieux
asseoir la cause. Certes, nous ne pouvons pas nous contenter de cela et
nous devons envisager le problème de la reconnaissance du génocide de
manière globale.
Le grand économiste John Kenneth Galbraith avait une
opinion singulière sur la première guerre mondiale. En effet, il
considère qu'il est plus judicieux de la nommer la Grande Guerre sans
diminuer son importance en fonction de la seconde comme nous le faisons
habituellement. Car selon lui, il est plus juste de considérer la
seconde guerre mondiale comme la dernière bataille de la Grande Guerre.
Dans ce nouveau cadre, certainement perturbant pour les personnes
conventionnelles, la notion de génocide acquiert un nouveau sens. Comme
il n'est plus possible de séparer les génocides ainsi que les bourreaux,
nous assistons à une unification du sens. Ainsi le régime nazi et le
régime des jeunes turcs apparaissent comme une seule et même entité qui
élimine systématiquement les Juifs et les Arméniens qui sont eux-mêmes
unifiés en tant que victimes.
Dans ce nouveau champ, une vision globale
est nécessaire pour comprendre l'importance de la notion de génocide. La
comparaison n'a plus de sens. L'idée est ailleurs. Nous avons un
continuum génocidaire qui englobe les associations et les analogies. Les
bourreaux ne sont que la succession d'autres bourreaux. Aussi où se
trouve donc la différence ? En réalité, il n'y en a qu'une mais elle est
de taille. Une partie de ces bourreaux a été reconnus comme telle
tandis que l'autre ne l'est toujours pas. Nous avons donc une
incomplétude fondamentale en termes des droits de l'homme. Si nous
voulons vraiment que les générations futures s'appuient sur le travail
accompli, celui-ci doit englober l'ensemble de ce continuum génocidaire.
Aussi la reconnaissance du génocide doit être effectuée à partir du
point initial. C'est en ce sens que la cause est fondamentale. C'est en
ce sens qu'il faut mettre en évidence la divergence qui consiste en un
génocide de la mémoire. Aussi l'ampleur de la tâche ne doit pas nous
décourager mais au contraire grandir notre humanité.