mercredi 29 juillet 2020

LA PMA SANS PERE OU LE NAUFRAGE DES LUMIERES


LA PMA SANS PERE 

OU LE NAUFRAGE DES LUMIERES

Sans qu’aucun des deux camps en ait conscience, la bataille sur le projet de loi bioéthique se joue à front renversé. Ceux qui soutiennent le projet se considèrent généralement comme les héritiers des Lumières sans réaliser à quel point un tel projet trahit celles-ci ; ceux qui le combattent appartiennent surtout à la mouvance catholique, alors même que le combat en cause ne porte que sur le droit naturel et des principes universels qui n'ont rien de spécifiquement confessionnels.

Les lumières avaient trois maîtres mots : la raison, la nature, la liberté.

Raison et nature : que penser des nouveautés introduites par la commission spéciale de l'Assemblée nationale dans la loi ? La plus singulière est la légalisation de la méthode qui consiste à féconder l'ovocyte d'une femme avant de le réimplanter dans l'utérus de sa compagne, de telle manière que leur maternité soit partagée. Est aussi envisagée la création d'embryons transgéniques, soit à terme la fabrication d'enfants génétiquement modifiés, la fabrication d'embryons chimères homme-animal par insertion de cellules- souches humaines dans des embryons d'animaux. Dans le même esprit, l'Assemblée nationale devrait autoriser l'autoconservation des ovocytes (sans raison médicale) afin permettant aux femmes en âge de procréer à remettre à plus tard leur projet de maternité, ainsi que la technique du « bébé médicament ». Bref : carte blanche à Frankenstein.
Que tous ces projets soient contraires à la nature est assez évident. Seuls le députés écologistes qui les votent aveuglément ne s'en sont pas aperçu.
          Les philosophes des Lumières croyaient au droit naturel
        Ceux qui poussent à ces changements tiennent la nature humaine pour une notion scolastique dépassée. Pourtant la nature était souvent invoquée par les philosophes des Lumières. Voltaire, Rousseau, Kant croyaient au droit naturel. Seul homme des Lumières à le récuser : le marquis de Sade... Les philosophes des Lumières ont combattu l'Eglise au nom de la nature : le célibat de prêtres et des religieuses était, disaient-ils, contre-nature ; de même les châtiments infligés aux enfants dans les collèges auxquels ils préféraient une éducation sans contrainte à la manière d'Emile.
Aujourd'hui, l'idée de droit naturel est pourtant tenue pour un gros mot dans les facultés de droit. Singulier paradoxe au moment où les droits de l'homme (naturels et imprescriptibles !) sont invoqués partout et où l'on découvre la permanence du génome de l'Homo sapiens depuis 100 000 ans. Constance du génome, permanence anthropologique.
Contrairement à ce que certains disent, la liberté prônée sous la Révolution n'est pas illimitée : elle « consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui » (article 4 de la Déclaration du 26 août 1789). Le droit conféré à des femmes sans hommes, de procréer avec un sperme anonyme, reviendrait à autoriser la fabrication délibérée d'orphelins de père et donc à leur porter un préjudice irréversible, terrain propice aux pires difficultés psychologiques, comme les expériences effectuées à l'étranger l'ont montré. La gestation pour autrui, suite logique de la PMA, est tenue à raison pour une forme d'esclavage.
Le principe de non-discrimination devrait interdire d'étiqueter le sperme avec des mentions raciales, ce que le projet de loi ne prévoit pas, et pour cause.
La raison n'est pas seulement la raison raisonnante, elle est plus profondément le bon sens, auquel se référait Descartes, précurseur des Lumières qui, pensait qu'il était « la chose du monde la mieux partagée ». Où est le bon sens quand on permet à la Sécurité sociale en détresse financière de rembourser à hauteur de 20 000 € la PMA d'une femme en bonne santé apte à concevoir naturellement ?
Et que dire du projet lui-même, d'une complexité si effroyable qu'il est à lui seul une injure au droit ?
Si Jules Ferry revenait
Raison, nature, morale naturelle (et donc laïque) et droits de l'homme : souvenons-nous de Jules Ferry écrivant à ses instituteurs : « avant de proposer à vos élèves un précepte, demandez-vous si un père de famille, je dis un seul, présent à votre classe et vous écoutant, pourrait de bonne foi refuser son assentiment à ce qu'il vous entendrait dire. Si oui, abstenez-vous de le dire ; sinon, parlez hardiment, car ce que vous allez communiquer à l'enfant, ce n'est pas votre propre sagesse, c'est la sagesse du genre humain, c'est une de ces idées d'ordre universel que plusieurs siècles de civilisation ont fait entrer dans le patrimoine de l'humanité. » Nous en sommes aujourd'hui bien loin.
Par quelle étrange aberration, les héritiers des Lumières en sont-ils venus à laisser la défense de la raison, des droits et de la nature aux tenants des religions, en particulier aux catholiques. Pas toujours éclairés, ceux-ci comprennent-ils que ce qu'ils défendent, ce n'est pas une morale particulière mais la morale naturelle - autrement dit laïque ? Le philosophe Rémi Brague rappelle qu'il n'y a pas de morale chrétienne : les chrétiens héritent de la Loi de Moïse qui n'est elle-même que la mise en forme de la morale naturelle. C'est le Comité national d'action laïque qui, au nom des Lumières, devrait manifester contre les projets bioéthiques. Les catholiques qui ont capté ce combat sont comme le pape Léon le Grand qui, sortant de son rôle, défendait Rome face à Attila parce que ceux qui auraient dû le faire, le pouvoir laïc, étaient défaillants. Quel bel hommage rendu aux religions, que de leur laisser le monopole de la défense du droit, de la raison et de la nature dont on supposait jadis qu'elles leur étaient contraires ?
Ce n'est pas la première fois que les Lumières s'égarent : quand Staline, qui se tenait aussi, comme tous les marxistes, pour leur héritier, imposait la génétique de Lyssenko au rebours de la vraie science, c'est la supposée plasticité sans limite de la nature humaine qu'il affirmait, comme les transhumanistes d'aujourd'hui. Au même moment d'autres voulaient, au nom de la Science, faire le Surhomme, avec les conséquences tragiques que l'on sait.
Ce n'est pas la civilisation judéo-chrétienne qui sombrerait si les projets aberrants que l'on a vus étaient votés, c'est l'héritage des Lumières qui se trouverait gravement discrédité.
Roland HUREAUX
29.07.2020

vendredi 24 juillet 2020

LA DEUXIEME CONQUETE

LA DEUXIEME CONQUETE D’ISTANBUL PAR L’ISLAMISTE ERDOGAN


La cérémonie de conversion de la basilique Sainte-Sophie en mosquée aujourd’hui à Istanbul a démontré d’une façon indéniable l'avancement du pouvoir de Recep Tayip Erdogan vers l’établissement d’un régime islamo-fasciste en Turquie.

Plusieurs milliers de musulmans ont participé vendredi à la cérémonie lors de laquelle le président de la République "laïque" Recep Tayyip Erdogan, qui portait pour l'occasion une calotte islamique, a récité un passage du Coran. Puis les quatre minarets de Sainte-Sophie ont émis l'appel à la prière signalant le début du rite.


Un autre événement alarmant de la journée était le show guerrier du chef de l'Autorité religieuse (Diyanet) Ali Erbas qui, pendant son prêche, tenait un cimeterre symbolisant la conquête de Constantinople par les Ottomans en 1453.

Il s'agit de la première prière collective organisée depuis 86 ans à Sainte-Sophie, œuvre architecturale majeure construite au VIe siècle qui a successivement été une basilique byzantine, une mosquée ottomane et un musée.

Malgré l'épidémie de nouveau coronavirus, des foules compactes se sont formées dans la matinée autour de Sainte-Sophie, plusieurs fidèles ont même passé la nuit sur place.

Le 10 juillet, Erdogan avait décidé de rendre l'édifice au culte musulman après une décision de justice révoquant son statut de musée obtenu en 1934.

Le sort des mosaïques byzantines qui se trouvent à l'intérieur de Sainte-Sophie préoccupe particulièrement les historiens.

L'Autorité des affaires religieuse (Diyanet) a affirmé qu'elles seraient dissimulées par des rideaux uniquement pendant les prières, l'islam interdisant les représentations figuratives, et resteraient visibles le reste du temps.

Pour nombre d'observateurs, la reconversion de Sainte-Sophie en mosquée vise à galvaniser la base électorale conservatrice et nationaliste d'Erdogan, dans un contexte de difficultés économiques aggravées par la pandémie.

En prenant cette décision, le chef de l'État, souvent accusé de dérive islamiste, s'attaque aussi à l'héritage du fondateur de la République, Mustafa Kemal, qui avait transformé Sainte-Sophie en musée pour en faire l'emblème d'une Turquie laïque.

Comme un symbole, Erdogan a choisi pour la première prière le jour du 97e anniversaire du traité de Lausanne qui fixe les frontières de la Turquie moderne et que le président, nostalgique de l'Empire ottoman, appelle souvent à réviser.

La conversion de Sainte-Sophie en mosquée a suscité la colère de plusieurs pays, notamment la Grèce qui suit de près le devenir du patrimoine byzantin en Turquie. Le pape François s'est aussi dit "très affligé" par cette reconversion.

La prière de vendredi intervient par ailleurs dans un contexte de fortes tensions entre Ankara et Athènes, liées notamment aux explorations turques d'hydrocarbures en Méditerranée orientale.

La Grèce a vivement dénoncé la reconversion de Sainte-Sophie en mosquée, y voyant une "provocation envers le monde civilisé".

"Pour nous, Grecs orthodoxes, Sainte-Sophie est aujourd'hui plus que jamais dans nos esprits. Là-bas bat notre cœur", a déclaré vendredi devant la presse le Premier ministre Kyriakos Mitsotakis.

Les églises orthodoxes à travers la Grèce étaient "en deuil" vendredi au moment où des milliers de musulmans participaient à la première prière en l'ex-basilique Sainte-Sophie. À travers toute la Grèce, les cloches des églises devaient sonner en début d'après-midi, leurs drapeaux en berne pour protester contre ce que l'archevêque Iéronymos, chef de l'Eglise de Grèce, a qualifié d'"acte impie souillant" l'ancienne basilique de l'empire byzantin.

source :
https://www.info-turk.be

lundi 20 juillet 2020

Azerbaïdjan - Arménie : une guerre hybride


Azerbaïdjan - Arménie : une guerre hybride

J. V. Sirapian
Directeur de la revue « Europe&Orient »
18/07/2020

Le 12 juillet 2020 la confrontation entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan est montée d’un cran. L’origine du conflit remonte à la guerre de 1992 entre l’Azerbaïdjan et l’Artsakh (Haut Karabagh) terminée en 1994 par la victoire des Arméniens avec la signature d’un cessez-le-feu. Depuis lors, des escarmouches fréquentes ont eu lieu sur les lignes de contact entre les deux parties. Jusqu’en 2016 les violations du cessez-le-feu (toujours par l’Azerbaïdjan, la partie arménienne ne faisant que répondre) se limitaient aux lignes de contact autour d’Artsakh.

Depuis 1994 les deux parties se réunissent régulièrement sous la houlette du groupe de Minsk (OSCE) pour trouver une solution pacifique à ce conflit et le respect du droit à l’auto-détermination du peuple de l’Artsakh.

En avril 2016, l’Azerbaïdjan a décidé d’élargir le champ de ses attaques en déclenchant une guerre éclaire de 4 jours sur environ 800 km de frontières incluant non seulement l’Artsakh mais aussi l’Arménie. Ce qui s’est passé le 12 juillet et les jours suivants sont la continuité de cette stratégie de la tension voulue par Bakou pour détourner le mécontentement de plus en plus grandissant de la population à cause de la crise économique (suite à la chute vertigineuse du prix du pétrole) en attisant la flamme patriotique nourrie par la haine anti-arménienne. Bien que l’Azerbaïdjan soit incomparablement plus riche que l’Arménie, le niveau de vie du peuple d’en bas est presque identique que celui d’Arménie. Ceci à cause d’un régime oligarchique corrompu, basé sur le clientélisme du clan Aliyev, répressif contre toutes sortes d’oppositions, politique ou intellectuel. La révolution de velours, (avril 2018) qui a renversé pacifiquement le système oligarchique en Arménie avec un soutien populaire massif, donne aussi des sueurs froides au clan Aliyev qui redoute un mouvement identique en Azerbaïdjan.

Irrité, coincé à l’extérieur par le statu quo à la table des négociations, il vient de limoger le MAE Mammedyarov qui était en poste depuis 2004 et, à l’intérieur, le peuple gronde alors qu’Aliyev pense ainsi pouvoir gagner du temps en semant le chaos dans la région. Il est soutenu dans cette stratégie par son allié, la Turquie. Par la voix de son ministre des Affaires étrangères la Turquie a fait savoir qu’elle aiderait l’Azerbaïdjan si un conflit éclatait, avec l’arrière-pensée de reconquérir l’Artsakh.

Cette guerre d’usure ne se joue pas seulement sur le terrain escarpé du Sud Caucase. L’information, la désinformation, le piratage de sites, l’activisme de trolls mais aussi les nouvelles technologies sont de la partie, ce qui fait de cette confrontation une guerre hybride (cf. le dossier spécial de la revue « Europe et Orient » n° 30-juin 2020). L’article paru dans le journal nationaliste turc « Hürriyet » le 17 juillet « Le monde entier regarde la confrontation Azerbaïdjan-Arménie » (Dünyanın gözü Azerbaycan - Ermenistan sınırındaki çatışmalarda) est un exemple de désinformation de la presse turque sous couvert d’analyse de deux « spécialistes ». Entre autres, ils mettent en avant la thèse classique de « la main de l’étranger qui envenimerait le rapprochement entre deux peuples qui devraient vivre en paix côte à côte ». Les Arméniens en savent quelque chose du « vivre ensemble » avec les Azéris, se souvenant des exemples comme les massacres de Chouchi dans les années 20 (cf. Europe&Orient n° 30, juin 2020), du pogrom de Soumgaït en 1988, de la décapitation d’un officier arménien dans son sommeil par un officier azéri en 2004 à Budapest, de la mutilation des personnes âgées lors de la guerre de 4 jours en avril 2016, etc.

La technologie aussi a changé la donne. Commençant la fabrication des drones-espions il y a quelques années, l’Arménie produit aujourd’hui des drones d’attaques. La précision de la défense antiaérienne a été améliorée et on a vu son efficacité ces derniers jours. Un drone azéri de type Orbiter-3 (de fabrication israélienne, l’un des meilleurs au monde) a été descendu par les forces arméniennes.

Drone Orbiter-3 (Made in Israël)
Si une guerre totale devait éclater entre les deux pays, les cibles potentielles sur le territoire d’Azerbaïdjan seraient les raffineries de la mer Caspienne (et non pas les réserves d'eau comme prétend l'Azerbaïdjan). Aliyev le sait ainsi que les Occidentaux et qui sont inquiets, puisqu’ils dépendent en partie du pétrole et du gaz azéri. 

Par la voix de leur ministre de la Défense, les Azerbaïdjanais ont agité la menace d’envoyer un missile sur la centrale nucléaire de Metsamor près d’Erevan. Alors que la première hypothèse semble réaliste (cf. « La pensée stratégique arménienne » de Jean Dorian in "Europe & Orient" n° 29, décembre 2019), faire sauter une centrale de type Tchernobyl en Arménie, qui se trouve à quelques dizaines de kilomètres des frontières turque et géorgienne semble peu probable. 

Sauf si Dr Folamour du Caucase décide, par désespérance, de passer la ligne rouge.








samedi 11 juillet 2020

L’ISLAM CONQUERANT D'ERDOGAN

L’ISLAM CONQUERANT D'ERDOGAN

Il agit comme un rouleau compresseur. Ses ambitions sont sans fin. En Turquie, il vise à créer un État religieux sur les cendres de l’héritage d’Atatürk...


Christophe Lamfalussy, La Libre Belgique, 11 juillet 2020


Il fut un temps où Istanbul, ce pont entre l’Europe et l’Asie, symbolisait la cohabitation des cultures et des civilisations. Ses vieux quartiers illustraient son histoire, témoignages des communautés arménienne, grecque et juive qui y vivaient, de façon significative, jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, en entente avec une majorité musulmane dont la foi était une affaire personnelle.

Depuis l’arrivée au pouvoir d’Erdogan, cet équilibre fragile a été pas à pas rompu. Flattant son électorat religieux, le leader turc a fait ériger des mosquées, telles des baïonnettes dans le ciel, jusque sur la place Taksim, haut lieu de la contestation laïque de son pouvoir. " ", avait déclaré M. Erdogan en 1997, ce qui lui avait valu une peine de dix mois de prison pour incitation à la haine. Les mosquées sont nos casernes, les coupoles nos casques, les minarets nos baïonnettes, les croyants nos soldats… L’heure de la revanche est arrivée.

Après avoir mis au pas l’armée, emprisonné des milliers d’intellectuels et de fonctionnaires accusés d’avoir adhéré au mouvement du prédicateur Fethullah Gülen, le président turc a annoncé, vendredi, la transformation en mosquée de l’ancienne basilique de Sainte-Sophie. Celle-ci restera ouverte aux touristes.

Mais il concrétise ainsi un vieux rêve de révoquer la décision, prise en 1934 par Atatürk, de faire de Sainte-Sophie un musée et, par là même, d’honorer la décision du sultan ottoman Mehmet II Fatih venu prier à Sainte-Sophie à la prise de Constantinople, en 1453.

L’islam d’Erdogan est un islam des conquêtes. Il agit comme un rouleau compresseur. Ses ambitions sont sans fin. En Turquie, il vise à créer un État religieux sur les cendres de l’héritage d’Atatürk.

Dans les pays voisins, il envoie son armée, en Irak, en Syrie, en Libye.

Et ce 15 juillet, date anniversaire du putsch manqué, il organise de grandes cérémonies, dont un son et lumière avec 200 drones sur le pont des Martyrs, et près de 750 événements à l’étranger. De quoi faire oublier aux Turcs les misères de la pandémie et de l’économie…


Source : 
https://www.info-turk.be




NDLR de E&O : Un petit bémol à cette affirmation de l'auteur : "...communautés arménienne, grecque et juive qui y vivaient, de façon significative, jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, en entente avec une majorité musulmane..."

Ces communautés ont été, de tout temps, considérées comme des "dhimmis" sous les ottomans, citoyen de seconde zone et harcelées moralement, physiquement et économiquement. Sans rentrer dans les détails les massacres hamidiens de 1894-96, le pogroms d'Adana de 1909, le génocide de 1915, pogroms de Thrace en 1934, l'impôt inique de 1942, la nuit barbare de 6-7 septembre 1955... sont autant de pages noires. C'est la preuve aussi de la continuité des actes criminels entre la période ottoman, jeunes turcs, kemalisme et islamisme d'aujourd'hui.  (cf. Le recyclage des criminels Jeunes-Turcs, Marc de Garine, Sigest, 2019) 

mercredi 8 juillet 2020

Faut-il fermer la parenthèse Kalfayan ?

Faut-il fermer la parenthèse Kalfayan ?
Faut-il fermer la parenthèse Kalfayan ? Non, bien évidemment. Nul n’oserait se prétendre légitime à vouloir et pouvoir décider du destin d’autrui, sauf, peut-être, M. Raffi Kalfayan lui-même, qui vient de publier, sur le site des Nouvelles d’Arménie, un article sentencieux dans lequel il martèle à trois reprises, au point d’en faire son titre, que « la parenthèse Pachinian doit se refermer ».
« Carthage doit être détruite » clamait Caton l’ancien pour convaincre les Sénateurs de rayer de la carte la cité rivale de Rome. La Révolution de velours devrait suivre le même sort, selon M. Kalfayan s’adressant aux Arméniens.
Mais ce n’est pas tout. Derrière la sémantique de la « parenthèse devant se refermer » l’auteur instille également l’idée d’une légitimité naturelle de l’ancien régime, qui s’est pourtant fondé, développé et maintenu par le crime, la corruption et la fraude électorale. Inquiétant.
Cherchant à prévenir la critique de son point de vue partisan, M. Kalfayan précise, à titre liminaire, que ses opinions reposent sur la « défense de principes », sans néanmoins dire lesquels, mais qui l’ont conduit à prendre position contre la réforme constitutionnelle de 2015 et la décision de Serge Sarkissian de briguer le poste de premier ministre début 2018.
Son impartialité serait même insoupçonnable puisqu’il souligne avoir lancé une « pétition internationale de soutien aux manifestations pacifiques en avril 2018 ».
À l’aune des nombreux drames politiques ayant accablé l’Arménie ces vingt dernières années, on aurait pu s’attendre à des faits d’armes plus élogieux de la part de celui qui distribue bons et mauvais points aux acteurs de la vie politique arménienne.
Mais surtout, pour quelles raisons les principes forgeant la rectitude de son opinion et guidant la lame de ses jugements ne l’ont pas fait réagir face à la violation de la constitution par le candidat Kotcharian à la Présidence de la République en 1998, alors qu’il n’était pas citoyen arménien depuis 10 ans, l’entrave aux enquêtes judicaires concernant les commanditaires de la tuerie du 27 octobre 1999 au Parlement, la corruption systémique de l’administration et de l’institution judiciaire, tout comme la prise du pouvoir, économique et politique, par des oligarques devenus parlementaires, après avoir prêté allégeance aux présidents Kotcharian et Sarkissian.
Quelques lignes, non plus, n’auraient pas été de trop pour dénoncer, à l’époque, les fraudes électorales systémiques de l’ancien régime pour se maintenir au pouvoir, les atteintes à la vie et à la liberté suite aux évènements du 1er mars 2008, leur dizaine de morts et le flot de prisonniers politiques qui s’en est suivi. Il est des silences assourdissants.
Alors quelle(s) faute(s) a donc bien pu commettre le Premier Ministre arménien pour mériter de M. Kalfayan une condamnation sans appel, un déferlement de fiel et de haine mâtinés d’une condescendance rare.
Car notre auteur n’y va pas par le dos de la cuillère pour prêter à Nikol Pachinian des « attaques répétées contre l’État de droit et contre la Constitution », la conduite « d’une politique de haine et de division », une « dérive autocratique », voire « paranoïaque », « des obsessions contre Kotcharian et la Cour constitutionnelle ».
Sous la plume de M. Kalfayan, « la situation politique et sociale de l’Arménie est atterrante », « l’État de droit n’existe plus » - existait-il auparavant ?-, la « démocratie parlementaire n’existe plus » - malgré des élections pour la première fois libre en 2018 !
Cette charge de notre auteur contre Nikol Pachinian intervient au moment où toutes les forces de l’ancien régime sont mobilisées pour mener la mère des batailles : garder le contrôle de la Cour constitutionnelle, composée de juges nommés jusqu’en 2015 par Robert Kotcharian et Serge Sarkissian, présidée par Hraïr Tovmassian, membre du parti républicain, ancien ministre de la justice et principal rédacteur de la Constitution taillée sur mesure pour le dernier Président.
Sa nomination, en remplacement de Gagik Haroutounyan, dans des conditions de régularité qui font l’objet d’une instruction judiciaire, s’est accompagnée d’un amendement à la Loi organisant le fonctionnement de la Cour et qui permettra à M. Tovmassian de se maintenir, au-delà de son mandat de 12 ans et jusqu’à la retraite. Il se dit que cette promotion dérogatoire serait le fruit d’un accord entre Serge Sarkissian et Hraïr Tovmassian, afin que ce dernier apporte au premier la garantie judiciaire qu’il ne serait pas inquiété.
Juge de la régularité des élections, la Cour constitutionnelle a systématiquement validé le déroulement de toutes les élections en Arménie, fussent-elles outrancièrement frauduleuses. Elle n’avait, jusqu’à la Révolution de velours, jamais manifesté la moindre velléité d’indépendance à l’égard du pouvoir politique. Par peur ? Manque de courage ? Conviction politique ?
Qui peut alors sérieusement affirmer que, dans sa composition actuelle, la Cour constitue une garantie du respect des valeurs et principes constitutionnels ainsi que la clef de voute d’un État de droit ? M. Kalfayan ! Étonnement, celui qui est devenu l’adepte de l’ultra-preuve, considère « qu’il n’a jamais été démontré que les juges aient mal rempli leur mission » !
La question de l’impartialité de la Cour constitutionnelle s’est pourtant de nouveau posée à l’occasion du procès de Robert Kotcharian. La stratégie judiciaire de ce dernier, plutôt que de répondre sur le fond du dossier aux graves accusations portées contre lui, comme on était en droit de l’attendre de la part d’un ancien Président de la République, s’est focalisée sur l’inconstitutionnalité des poursuites, tant au regard de son immunité prétendue qui le rendrait intouchable que de la rétroactivité alléguée des dispositions pénales fondant ses poursuites.
Avec succès dans un premier temps puisque le tribunal, avant d’être contredit par la Cour d’appel, avait décidé le 20 mai 2019, avant même la phase de l’examen judiciaire, de « surseoir à statuer » et de transmettre le dossier à la Cour constitutionnelle, laquelle s’empressa d’accueillir cette requête, comme celles des avocats de Kotcharian, pour s’imposer comme l’arbitre des débats et de la légalité – en réalité l’opportunité- des poursuites.
Cependant, le 25 juin suivant, la Cour d’appel a annulé la décision de sursis à statuer et a renvoyé l’affaire au Tribunal afin qu’il en reprenne l’instruction, estimant qu’il n’avait pas encore procédé à un examen nécessaire et suffisant des faits relatifs aux questions posées à la juridiction suprême.
Décidée à garder la main et peser sur les débats, la Cour constitutionnelle prendra alors l’initiative, le 2 août 2019, de saisir la Cour européenne des Droit de l’Homme pour solliciter un avis consultatif portant sur cinq questions de portée très générale.
Consciente de l’instrumentalisation dont elle était l’objet, la CEDH répondra, dans son avis rendu le 29 mai 2020, ne pouvoir répondre aux deux premières questions, « ne discernant aucun lien direct » entre elles et la procédure concernant Robert Kotcharian accusé d’avoir tenté de renverser l’ordre constitutionnel !
S’agissant de la troisième question, la Cour européenne confirmera la compatibilité avec les exigences de la Convention, des dispositions pénales sur lesquelles sont fondées les poursuites contre Kotcharian, utilisant la technique de « législation par référence », à charge pour le tribunal de vérifier in concreto la clarté et la prévisibilité de l’infraction.
Quant aux deux dernières questions portant sur la comparaison des deux versions du code pénal de l’infraction de renversement de l’ordre constitutionnel (avant et après 2009) et leur incidence éventuelle sur la rétroactivité de la Loi, la Cour européenne soulignera que « pareille comparaison doit tenir compte des circonstances particulières de l’espèce et ne peut être effectuées in abstracto ».
Au final, cette initiative en faveur des intérêts de Robert Kotcharian s’est retournée contre la Cour constitutionnelle qui revient bredouille de Strasbourg et se fait égratigner au passage à travers quelques remarques cinglantes. L’échec de sa stratégie n’a que davantage compromis son impartialité et le changement de sa composition est devenu une urgence autant juridique que politique.
En refusant de démissionner, les juges n’ont fait que confirmer leur volonté de bloquer les réformes pour lesquelles les Arméniens ont voté à plus de 70% et de défendre les intérêts d’un clan qui, comme personne, a bafoué l’État de droit, à commencer par le premier d’entre eux, Robert Kotcharian.
La réforme constitutionnelle, destinée à modifier la composition de la Cour, était devenue inéluctable. Nulle tuerie pour ce faire, ni menace, mais simplement la voie légale, en organisant un référendum, transformé, pour cause de crise sanitaire, en vote par l’Assemblée nationale où le parti « Im Kayle » est largement majoritaire, suite à des élections dont, pour la première fois, nul n’a critiqué la régularité. Bref l’État de droit comme on ne l’avait jamais connu jusqu’alors.
M. Kalfayan est pourtant convaincu du contraire, et le renoncement au référendum ne serait selon lui qu’une manœuvre destinée à masquer l’impopularité du Premier Ministre. La spéculation est audacieuse. L’inquiétante diffusion du Covid 19 en Arménie est devenue une cause nationale et l’organisation d’un référendum aurait été source de contagion. Quant à l’impopularité, une enquête d’opinion, réalisée par l’institut MPG, membre de l’Association internationale GALLUP et publiée au moment où ces lignes sont écrites, indique que 85% des Arméniens approuvent l’activité du Premier ministre.
Quant à la Commission de Venise, qui donne ses avis comme elle cultive ses amitiés avec les membres de l’ancien régime avec lesquels elle pense avoir fait progresser l’État de droit en Arménie durant ces vingt-cinq dernières années, elle a rendu un avis favorable quant au remplacement des Juges de la Cour constitutionnelle tout en souhaitant qu’il soit échelonné dans le temps.
Mais il n’appartient pas à cette commission, dont les prérogatives se limitent à donner des avis, de fixer l’agenda des réformes judiciaires en Arménie. C’est également vite oublier l’aménagement du départ à la retraite que le Gouvernement a proposé à ces juges, prévoyant le doublement de leur traitement, et que ces derniers ont rejeté sur un ton offensé.
Que le Président Armen Sarkissian, après avoir signé la première loi réformant la Constitution, décide finalement de ne pas signer la seconde, destinée à adapter les modalités de la réforme, ne l’entache pas d’irrégularité puisque cette même Constitution prévoit expressément que passé un délai de vingt-et-un jours, le président du Parlement peut promulguer la Loi à la place du Président de la République. Il n’y a pas davantage atteinte à l’État de droit, et chacun interprétera comme il le voudra la partition personnelle que semble vouloir jouer le Président de la République.
Selon M. Kalfayan, le renouvellement de la composition de la Cour constitutionnelle masquerait une volonté des autorités d’en prendre contrôle. Prêter au gouvernement des pratiques identiques à celles de l’ancien régime, c’est déjà reconnaître le forfait de ceux dont il prend aujourd’hui la défense.
Mais c’est surtout faire un procès d’intention aux prochains juges qui n’ont pas encore été nommés et qu’a fortiori, il ne connaît pas, alors qu’il se révèle très accommodant envers ceux qui ont entaché l’institution judiciaire suprême.
Je ne m’attarderai pas sur le reste de sa diatribe, dont chacun pourra se faire une exacte opinion.
L’ensemble des contradictions et incohérences sur lesquelles reposent ces prétendues atteintes à la Constitution et à l’État de droit nous incline à penser que M. Kalfayan ne défend pas des principes, qu’il se garde au demeurant de clarifier, mais simplement des « amis ».
Il n’a au demeurant pas caché, dans la presse arménienne cette fois, la grande considération qu’il portait au président de la Cour constitutionnelle, M. Hraïr Tovmassian.
Pour nous convaincre de son impartialité, M. Kalfayan serait également bien inspiré de ne plus faire mystère de son propre parcours politique au sein de la communauté arménienne et des fonctions qu’il a occupées, et nous faire connaître son jugement avisé qu’on imagine tout autant sévère, sur le bilan historique et politique de cette famille politique, qui est peut-être encore la sienne.
Enfin, M. Kalfayan défend, aussi et surtout, l’idée qu’il a de sa personne, au point de considérer que Nikol Pachinian « avait franchi la ligne rouge » pour n’avoir « eu cure » de son article publié le 11 mai 2020, sur le site Mirrorspectator.com, appelant à « la concorde nationale pour sauver l’Arménie ». « Vaste programme » aurait dit le Général de Gaulle…
Je devais participer samedi 4 juillet dernier à l’émission « Carte sur table » sur Ayp FM, en présence et suite à la publication de l’article de M. Kalfayan, sur le thème de la réforme constitutionnelle. Finalement, j’ai été informé deux jours avant par Henri Papazian que l’émission ne se tiendrait pas, sur ce thème en tout cas, car « Raffi avait renoncé ».
Ces quelques lignes lui sont donc dédiées. Doukhov !
Alexandre Armen COUYOUMDJIAN
Avocat au Barreau de Paris

07/07/2020