mercredi 23 avril 2014

Erdogan et 1915 : un communiqué pour rien



Le message d'Erdogan sur les événements de 1915 : futile





Ceux qui attendaient beaucoup du communiqué d’Erdogan ont été déçus.

Certes l’exercice est inédit puisque c’est la première fois qu’un Premier ministre turc parle de ce qu’il appelle "les déplacements pendant la première Guerre, ayant entrainé des actes inhumains".

On aurait pu applaudir ce message s’il était sincère et juste. Or ce n’est ni l’un ni l’autre. Et contrairement à ce qui a été écrit dans la presse française, aucune excuse n’a été adressée au peuple arménien. Et pour cause : « présenter des excuses n’existe pas dans la culture turque » comme disait Rakel Dink, la veuve du journaliste Hrant Dink après son assassinat.

Ce message vient comme par hasard un 23 avril, le jour où les Arméniens du monde entier font une veillée à la mémoire de leurs parents et grands-parents, assassinés lors des massacres d’une cruauté inimaginable où le deux tiers de la population arménienne de l’Empire ottoman a été anéantie corps et bien entre 1915 et 1922.

Tous les historiens, à part quelques négationnistes, définissent ces massacres planifiés comme le premier génocide du XXe siècle. Mot inventé par Raphaël Lemkin, un juriste polonais d’origine juive, dont les travaux se sont basés justement sur ce crime contre l’humanité pour définir les critères d’un génocide.



Or le PM Erdogan non seulement n’utilise pas le mot génocide, mais il ne parle même pas de massacre ou de crime contre l’humanité. Il fait allusion à un « déplacement » ayant entraîné des actes inhumains. Or la marche forcée d’une population vers le désert de Deir-Zor, la destination finale désignée par Talaat et ses complices jeunes-turcs, ne peut être considérée un comme un « déplacement » mais une expédition vers le néant. Quant au caractère planifié de ce déplacement, il suffit de taper « carte du génocide arménien » sur Internet pour voir les multiples chemins qui ont dû prendre les Arméniens, de toute l’Anatolie, vers la mort.

Le Premier ministre devient sardonique quand il parle d’une Turquie où la liberté d’expression est respectée ! Il oublie de dire que la Turquie, première prison du monde pour les journalistes (sans parler des prisonniers politiques) avait interdit il y a encore quelques jours Twitter et Youtube. Il omet de dire que le journaliste d’origine arménienne Hrant Dink a été assassiné parce qu’il avait exprimé une opinion différente de celle de l’État profond. Il omet aussi de dire que le prix Nobel Orhan Pamuk et plus récemment le pianiste Fazil Say ont dû fuir le pays parce qu’ils avaient exprimé des opinions différentes de la ligne officielle.

Erdogan fait référence aussi à une commission d’historiens arméno-turque pour étudier les ‘événements’ qui se sont déroulés pendant cette ‘période trouble’. Dans quel but, puisque nous connaissons la réponse qui veut entendre ? Comme il l’a dit lors d’une conférence internationale, en présence de l’ancien ministre de l’Arménie, V. Oskanian : ‘La Turquie n’a pas pu commettre un génocide puisque ce n’est pas dans notre culture. Par conséquent nous n’accepterons jamais le mot génocide.’ (dixit R.T.E.). Voici ce qu’attend la Turquie comme conclusion de la part d’une commission « objective ».

Après 99 ans de négationnisme d’État du Génocide des Arméniens, après l’impôt inique sur la fortune de 1942 (visant les minorités non musulmanes), après le pogrom du 6-7 septembre 1955, après l’assassinat de Hrant Dink en 2007, etc. ces condoléances feintes arrivent un peu tard. Si Erdogan veut présenter ses excuses au nom de la nation turque il pourrait reproduire le geste symbolique du Chancellier Willy Brandt à Varsovie, en 1970, et aller se recueillir au monument du Génocide des Arméniens, à Dzidzernagapert-Yerevan.

Les héritiers des rescapés du Génocide des Arméniens ne sont pas à la recherche de condoléances de façade ou d’empathie, mais de Justice et de Réparation, résumée par les trois « R » : Reconnaissance, Repentir, Réparation.

Le reste c'est du vent.

J. V.
23 avril 2014 


voir aussi  l'Interview de Jean Sirapian sur I24News.