Le message d'Erdogan sur les événements de
1915 : futile
Ceux qui attendaient beaucoup du
communiqué d’Erdogan ont été déçus.
Certes l’exercice est inédit
puisque c’est la première fois qu’un Premier ministre turc parle de ce qu’il
appelle "les déplacements pendant la première Guerre, ayant entrainé des actes inhumains".
On aurait pu applaudir ce
message s’il était sincère et juste. Or ce n’est ni l’un ni l’autre. Et
contrairement à ce qui a été écrit dans la presse française, aucune excuse n’a
été adressée au peuple arménien. Et pour cause : « présenter des
excuses n’existe pas dans la culture turque » comme disait Rakel Dink, la
veuve du journaliste Hrant Dink après son assassinat.
Ce message vient comme par
hasard un 23 avril, le jour où les Arméniens du monde entier font une veillée à
la mémoire de leurs parents et grands-parents, assassinés lors des massacres
d’une cruauté inimaginable où le deux tiers de la population arménienne de
l’Empire ottoman a été anéantie corps et bien entre 1915 et 1922.
Tous les historiens, à part
quelques négationnistes, définissent ces massacres planifiés comme le premier
génocide du XXe siècle. Mot inventé par Raphaël Lemkin, un juriste polonais d’origine
juive, dont les travaux se sont basés justement sur ce crime contre l’humanité
pour définir les critères d’un génocide.
Or le PM Erdogan non seulement
n’utilise pas le mot génocide, mais il ne parle même pas de massacre ou de
crime contre l’humanité. Il fait allusion à un « déplacement » ayant
entraîné des actes inhumains. Or la marche forcée d’une population vers le
désert de Deir-Zor, la destination finale désignée par Talaat et ses complices
jeunes-turcs, ne peut être considérée un comme un « déplacement » mais une
expédition vers le néant. Quant au caractère planifié de ce déplacement, il
suffit de taper « carte du génocide arménien » sur Internet pour voir
les multiples chemins qui ont dû prendre les Arméniens, de toute l’Anatolie, vers
la mort.
Le Premier ministre devient sardonique
quand il parle d’une Turquie où la liberté d’expression est respectée ! Il
oublie de dire que la Turquie, première prison du monde pour les journalistes (sans
parler des prisonniers politiques) avait interdit il y a encore quelques jours
Twitter et Youtube. Il omet de dire que le journaliste d’origine arménienne
Hrant Dink a été assassiné parce qu’il avait exprimé une opinion différente de
celle de l’État profond. Il omet aussi de dire que le prix Nobel Orhan Pamuk et
plus récemment le pianiste Fazil Say ont dû fuir le pays parce qu’ils avaient
exprimé des opinions différentes de la ligne officielle.
Erdogan fait référence aussi à
une commission d’historiens arméno-turque pour étudier les ‘événements’ qui se
sont déroulés pendant cette ‘période trouble’. Dans quel but, puisque nous
connaissons la réponse qui veut entendre ? Comme il l’a dit lors d’une
conférence internationale, en présence de l’ancien ministre de l’Arménie, V.
Oskanian : ‘La Turquie n’a pas pu commettre un génocide puisque ce n’est
pas dans notre culture. Par conséquent nous n’accepterons jamais le mot
génocide.’ (dixit R.T.E.). Voici ce qu’attend la Turquie comme
conclusion de la part d’une commission « objective ».
Après 99 ans de négationnisme
d’État du Génocide des Arméniens, après l’impôt inique sur la fortune de 1942
(visant les minorités non musulmanes), après le pogrom du 6-7 septembre 1955,
après l’assassinat de Hrant Dink en 2007, etc. ces condoléances feintes arrivent
un peu tard. Si Erdogan veut présenter ses excuses au nom de la nation turque
il pourrait reproduire le geste symbolique du Chancellier Willy Brandt à
Varsovie, en 1970, et aller se recueillir au monument du Génocide des
Arméniens, à Dzidzernagapert-Yerevan.
Les héritiers des rescapés du
Génocide des Arméniens ne sont pas à la recherche de condoléances de façade ou
d’empathie, mais de Justice et de Réparation, résumée par les trois « R »
: Reconnaissance, Repentir, Réparation.
Le reste c'est du vent.
J. V.